Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage
25 Octobre 2021
Jean CAVALIER naquit à Ribaute, petit village situé non loin du Gardon d'Anduze, au bas de ces Cévennes toutes remplies, après un siècle et demi ; de son souvenir ; son berceau fut celui du pauvre, et de lui on peut dire qu'il naquit et grandit dans l'orage des persécutions religieuses. Ses parents appartenaient à la classe de ceux qu'on appelait des nouveaux convertis, mais qui, tout en professant extérieurement le culte catholique, haïssaient mortellement ses cérémonies religieuses. La mère de Jean Cavalier, plus éclairée et plus attachée à sa foi que son mari, l'instruisit secrètement dans les vérités de la foi chrétienne et le mit ainsi en garde contre les enseignements qu'il recevait à l'école catholique.
L'enfant, qui avait une intelligence au-dessus de son âge, comprenait admirablement sa mère, qui se hasardait quelquefois, à l'insu de son mari, à le conduire dans les assemblées du désert. C'est dans l'une de ces réunions qu'il entendit le célèbre Claude Brousson, dont la parole douce, forte et persuasive, fit sur lui une impression qui ne s'effaça jamais, et le rendit inaccessible à toutes les tentatives qui furent faites plus tard pour lui, arracher une abjuration. Cavalier quitta de bonne heure la maison paternelle et entra comme goujat (valet de berger) chez un nommé Lacombe de Vézénobres.
Ribautes-les-Tavernes, village de naissance de Jean Cavalier - La boulangerie Cavalier - Claude Brousson, pasteur du Désert -
Plus tard, nous le trouvons apprenti boulanger à Anduze. Le jeune ouvrier, qui ne savait pas cacher la haine et le mépris que lui inspirait la religion romaine, attira sur lui l'attention du curé de Ribaute, qui lui intenta deux procès, l'un civil, l'autre criminel ; sa liberté, sinon sa vie, courait de grands dangers ; il prit la fuite, et, à l'aide d'un guide, il traversa le Rhône, et arriva à Genève, où il se mit à travailler de son état de boulanger pour gagner sa vie.
Quelque ravissante que fût la contrée hospitalière où il pouvait servir Dieu en paix, ses regards étaient sans cesse tournés vers les lieux où s'était écoulée sa première enfance ; il n'avait rien oublié, car il y avait laissé son cœur ; le mal du pays s'empara de lui, et à dater de ce moment, il ne pensa qu'à retourner dans ses chères Cévennes ; il hésitait cependant, à cause des dangers qui l'y attendaient.
Nul à Genève ne se serait alors douté, en voyant ce jeune ouvrier cévenol, à la figure pâle et souffreteuse, du rôle qu'il était appelé à jouer dans les grands événements qui se préparaient dans le Languedoc. Un jour, Cavalier aperçoit, dans les rues de Genève, l'homme qui lui a servi de guide ; il court à lui et lui demande avec anxiété des nouvelles de ses parents. « Ils sont rendus à la liberté, » lui répond le guide. À ces mots, les indécisions du jeune Cévenol cessent ; quelques heures lui suffisent pour ses préparatifs de départ, et, bientôt après, il foule de ses pieds cette terre de France où ses frères se voient nier leur droit de servir Dieu selon leur conscience.
Il ne regagne pas en aveugle le village où s'est écoulée sa première enfance ; il sait qu'il y a des bagnes à Cette (Sète), à Toulon, à Marseille, et que sa place y est marquée à un banc de forçat, s'il tombe entre les mains des agents de Bâville ; mais qu'importe! il ne rebroussera pas chemin ; il reverra les lieux qui l'ont vu naître ; il pressera dans ses bras ses chers parents ; après, Dieu fera de lui ce qu'il voudra; et il va en avant, marchant la nuit, se cachant le jour dans une caverne ou dans une forêt, supportant avec joie les plus dures privations, et vivant plus, en quelques heures, que d'autres ne vivent en quelques années.
Il arrive, enfin, à Ribaute, et se dirige vers la maison paternelle; il frappe, on ouvre; à sa vue, son père et sa mère poussent un cri de joie: leur enfant chéri leur est rendu! Leur joie cependant est de courte durée : leur fils est entré dans leur maison au moment où ils vont aller à la messe, la liberté ne leur a été rendue qu'à l'humiliante condition d'abjurer leur foi ! Cavalier, malgré le respect qu'il leur porte, ne peut maîtriser un mouvement de surprise et d'indignation ; ils comprennent et rougissent. « Vous n'irez pas à la messe, leur dit-il, Dieu vous le défend ; non, vous n'irez pas ! » et de ses yeux jaillissent comme des flammes.
Ces paroles, dans lesquelles le jeune Cévenol a fait passer toutes les émotions et les sentiments dont son cœur est plein, font sur ses parents l'impression que le regard de Jésus fit sur Pierre; ils ont honte de leur apostasie et disent à leur enfant : « Nous n'irons plus à la messe ». Cette scène d'intérieur domestique se passait au moment où un drame lugubre venait de s'accomplir à Pont-de-Montvert et donnait le signal de la célèbre et terrible guerre des Camisards.
Le soulèvement des Camisards eut lieu en 1699
Sources :
- Mémoires du colonel Cavalier sur la guerre des camisards. Édition du manuscrit original de La Haye. Réimpression de février 2011 sur les presses de Présence Graphique à Monts (Indre et Loire).
- La vie de Jean Cavalier par François Puaux, 1868.