Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage

APROMICAV CALVISSON

PATRICIA CARLIER - LE SEL DE LA BAIE D'AIGUES-MORTES (2021) - PARTIE 3 (Chapitre 5)

Sommaire

Nous avons découpé le livre en quatre parties comprenant les chapitres suivants :
Partie 1ÉditoChap.1 La baie d'Aigues-Mortes, un potentiel naturel • Chap.2 Le sel avant Louis XI
Partie 2Chap.3 Le développement du salin de Peccais, un enjeu royal • Chap.4 Les chemins du sel
Partie 3Chap.5 Administration royale, gabelle et répression des fraudes
Partie 4Chap.6 Du 18e siècle à la Révolution • Chap.7 De 1789 à aujourd'hui

ADMINISTRATION ROYALE

GABELLE ET RÉPRESSION DES FRAUDES

La gabelle fut inventée dans l'Empire au 12e siècle par le Comté de Provence, le long du Rhône notamment pour remonter le sel vers l'intérieur avec des péages tous les 40 kilomètres en moyenne. C'est l'ancêtre de la T.V.A. On ne pouvait attendre moins de Philippe le Bel, inventeur du fisc, père de l'État Nation que la récupération de cet impôt direct étendu à toutes marchandises que son neveu Philippe VI de Valois mit en place en 1341, le temps que l’administration royale crée le dispositif légal. Louis XII qualifiait de « simple, pratique et égalitaire », cet impôt hautement variable qui fit la richesse de la France et les fortunes personnelles de grands du royaume, comme, Fouquet, Richelieu, ou Mazarin.

Payée jusqu'à la Révolution, elle se heurta localement à quelques résistances. Le Languedoc obtint d'être exempté de gabelle sur ses greniers jusqu'à ce que le Duc de Berry, intendant du Languedoc l'imposa le 23 juin 1411, mais avec le maintien de nombreux privilèges dont ceux de Sommières, Lunel et Aigues-Mortes.

Le coût des charrois et l'achat aux marchands négociants équivalaient déjà au paiement de la gabelle par le Rhône. Il fallait laisser le temps au Languedoc de moderniser son réseau, d’augmenter ses revenus pour pouvoir l'imposer.

FEUILLE DE GABELLE DU GRENIER À SEL DE LYON, LE 6 septembre 1713

FEUILLE DE GABELLE DU GRENIER À SEL DE LYON, LE 6 septembre 1713

Le sel est un monopole d’État. Il a une administration spécifique. En 1411, un visiteur général des gabelles est nommé en Languedoc ; il doit visiter les greniers sous son administration et dispose de lieutenants répartis sur son territoire. C'est un officier assermenté, mais libéral, rémunéré sur les amendes. Un général des finances, haut fonctionnaire régional à la Cour des Aydes de Montpellier, certifie les comptes, authentifie les chartes de privilèges au nom du roi. Indépendant du visiteur des gabelles, il contrôle le bon aloi de son administration et est chargé d'inspection en cas de litiges. Deux sièges administratifs des gabelles concernent la baie, Pont-Saint-Esprit pour Peccais et les greniers du Rhône et Montpellier pour Lunel et Sommières entre autres. Chaque grenier de terre ou du Rhône à un grènetier, un contrôleur, un mesureur et un notaire tenant un registre des comptes.

Des officiers et marchands de sel, couverts par la sauvegarde royale sont exempts de taxes mais doivent veiller aux mesures qui sont définies du quart de quintal au quintal. Étalonnées, elles sont en cuivre, frappées à la fleur de lys. Elles sont appelées « patron léal », des copies contrôlées sont reparties dans les greniers. Le sel ne peut être vendu au détail qu'en ville close pourvue de greniers et à 10 lieues maximum à la ronde. Des gardes sont installés pour surveiller salins et routes.

Cependant, ce premier règlement présente des failles qui ne tardent pas à être exploitées à tous les niveaux. Le Languedoc, n'est pas épargné. Comme ailleurs le territoire est tenu par des parentèles depuis les Carolingiens. Ceci explique la fraude « au Petit Blanc » des recteurs de L'ordre du Saint-Esprit ou celle  magistrale par son envergure à l'échelle de la Généralité, du visiteur général des gabelles, Guillaume d'Ancézune entre 1495 et 1515. Elles font suite à 30 ans d'écart à celle de Jacques Cœur, grand argentier royal, visiteur des gabelles qui avait fraudé au moyen de sociétés-écrans.

MESURE À SEL - BLASON DE LA FAMILLE D'ANCÉZUNE-MONDRAGONMESURE À SEL - BLASON DE LA FAMILLE D'ANCÉZUNE-MONDRAGON

MESURE À SEL - BLASON DE LA FAMILLE D'ANCÉZUNE-MONDRAGON

Guillaume d'Ancézune, seigneur de Caderousse, l'un des péages d'Empire les plus important sur le Rhône, est d'une famille de grande noblesse locale. Il hérite de la charge de visiteur général des gabelles du Languedoc, de son père Antoine en 1489 lequel en 1486 avait fait refaire toutes les mesures du Languedoc avec Guillaume Briçonnet, contrôleur général des finances à Montpellier, en étalonnant les mesures sur celles de Pont-Saint-Esprit et Peccais. Guillaume d'Ancezune s'empresse de les refaire avec une légère réduction de volume de moins de 5%, invisible à l'œil nu, avec la complicité d'Antoine de Joyes, son lieutenant, le plus grand marchand de sel du Languedoc. Tous les grènetiers, contrôleurs et marchands prennent leur part sur le réseau bien organisé du visiteur pour augmenter les profits de tous les fraudeurs impliqués, puisque pour le même prix, l'on achetait une moindre quantité de sel taxé sans s'en rendre compte. Par ailleurs les mesures étaient contrôlées par les gens du visiteur et personne ne songeait à les remettre localement en cause. La perte était minime à la mesure, mais sur l'accumulation du trafic à l'échelle de la Généralité de Montpellier, cela faisait une somme considérable.

Négligeant ses visites, le visiteur laisse ses lieutenants « négocier » les amendes et 6000 livres de taxes royales dues sur ces amendes ne sont pas reversées au trésor royal. C'est le détail qui va gripper la machine bien huilée du visiteur, alors que la fraude dure depuis 10 ans. Souhaités par Louis XI, Louis XII met en place un nouveau corps de haut fonctionnaires inspecteurs dans les Cours régionales des Comptes, dépendant uniquement du pouvoir central.

LES SENTIERS DES GABELOUS, DEVENUS SENTIERS DES DOUANIERS SONT AUJOURD'HUI DES CHEMINS DE RANDONÉELES SENTIERS DES GABELOUS, DEVENUS SENTIERS DES DOUANIERS SONT AUJOURD'HUI DES CHEMINS DE RANDONÉE
LES SENTIERS DES GABELOUS, DEVENUS SENTIERS DES DOUANIERS SONT AUJOURD'HUI DES CHEMINS DE RANDONÉE

LES SENTIERS DES GABELOUS, DEVENUS SENTIERS DES DOUANIERS SONT AUJOURD'HUI DES CHEMINS DE RANDONÉE

Jacques de Beaune, contrôleur général des finances à Montpellier découvre la négligence de Guillaume d'Ancézune, concernant le reversement des taxes sur les amendes, ce qui le pousse à investiguer un peu plus. Ainsi découvre-t-il Ia fraude organisée et son ampleur. Mais il n'ose pas s'attaquer au visiteur des gabelles. Ancézune est le cousin germain d’Étienne de Vesc, Sénéchal de Beaucaire, gouverneur d'Aigues-Mortes en titre, la plus importante sénéchaussée de France, gardienne des mesures étalons, ce seigneur étant par ailleurs contrôleur général de la Cour des Comptes au ministère des Finances, donc le supérieur de Jacques de Beaune. Le visiteur assiste son cousin dans ses missions royales pour l'organisation des guerres d'Italie depuis Charles VIII. Ancézune a donc « assuré ses arrières » vis-à-vis d'une inspection du royaume.

Jacques de Beaune mettra près de quinze ans à faire plier le visiteur général qui ne voulait pas reconnaître ses fautes devant un tribunal, mais l'administration fiscale en sortira grandie et le pouvoir des potentats locaux en sera définitivement amoindri. Louis XII puis François 1er prendront les mesures qui s'imposent face à cette affaire. Désormais, les visiteurs seront fonctionnaires, les lieutenants seront nommés par le roi et les greniers contrôlés directement à l'entrée et à la sortie au moyen de billets à remettre d'un grenier à l'autre. Le général des finances administrera avec le visiteur les greniers et les comptes seront directement gérés par la Cour des Aydes sur deux registres par grenier, tenus indépendamment.

AU SERVICE DES FINANCES DU ROI SOUS LOUIS XI, DE LOUIS XII PUIS DE LOUIS XIII. CONDAMNÉ EN 1527, IL EST PENDU AU GIBET DE MONTFAUCON.AU SERVICE DES FINANCES DU ROI SOUS LOUIS XI, DE LOUIS XII PUIS DE LOUIS XIII. CONDAMNÉ EN 1527, IL EST PENDU AU GIBET DE MONTFAUCON.

AU SERVICE DES FINANCES DU ROI SOUS LOUIS XI, DE LOUIS XII PUIS DE LOUIS XIII. CONDAMNÉ EN 1527, IL EST PENDU AU GIBET DE MONTFAUCON.

Les sacs remplaceront les mesures, point faible du précédent dispositif, scellés au départ des salins, pesés et contrôlés tout le long du chemin par les « gabelous ». Ces douaniers du sel, restent dans toutes les mémoires pour les terribles amendes et punitions qu'ils infligeaient aux faux saulniers à tel point que c'est encore le surnom des douaniers au début du 20e siècle.

Imaginée par Sully à la fin du 16e siècle, Colbert institue la Ferme Générale en 1681, charge allouée sur appel d'offre. Contre une franchise royale proportionnelle sur les gabelles prélevées, les fermiers généraux conservent pour eux le reste de la recette. Ils s'emploient donc à la faire augmenter, en toute légalité, avec l'aide des intendants des finances qui y voit l'intérêt supérieur du royaume. La gabelle devient le revenu principal de la France qualifiée de « pays riche ». L'ancienne prise illégale d'intérêts des visiteurs des gabelles est transformée en charge officielle aux revenus atteignant des sommets qui conduiront des fermiers généraux, honnis par la population, à l'échafaud, comme ce fut le cas du grand physicien Lavoisier qui avait investi sa fortune de fermier dans le financement de ses recherches. La gabelle fonctionne sur plusieurs régimes d'imposition entre pays de « grande » ou de « petite gabelle », elle atteint par endroit 1000 % sous Louis XIV et Louis XV.

PETITES ET GRANDES GABELLES SUIVANT LES RÉGIONS

PETITES ET GRANDES GABELLES SUIVANT LES RÉGIONS

Partie 1ÉditoChap.1 La baie d'Aigues-Mortes, un potentiel naturel • Chap.2 Le sel avant Louis XI
Partie 2Chap.3 Le développement du salin de Peccais, un enjeu royal • Chap.4 Les chemins du sel
Partie 3Chap.5 Administration royale, gabelle et répression des fraudes
Partie 4Chap.6 Du 18e siècle à la Révolution • Chap.7 De 1789 à aujourd'hui

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