Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage
25 Novembre 2022
Au siècle dernier, les longues soirées d'hiver ramenaient avec elles la vieille coutume de la « veillada »(2).
Dans la grande cuisine d'un « oustaou peïroulaou »(3), un feu de racines d'oliviers, alimenté de sarments ou de ramilles(4), pétille joyeusement en myriades d'étincelles dans la vaste cheminée éclairant de ses rouges reflets les cuivres rouges suspendus sous la gaze au-dessus de la vieille crédence séculaire aux ferrures forgées; sous les larges bards(5) se balance la barre des provisions où, saucisses et saucissons, s'alignent par rang de taille à la suite de la « tripa culaou »(6).
Nos bonnes aïeules s'assemblent en cercle autour « daou lum a cro »(7) sur la mèche duquel un grain de sel atténue la consommation d'huile, tandis qu'au-devant de chacune d'elles, suspendu aux poutrelles enfumées, le globe d'eau intensifie et concentre la lumière du Caléou(7) projeté sur les mailles du tricot
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(1) La Fée du Château.
(2) La veillée.
(3) Maison paternelle, maison familiale.
(4) Broussailles.
(5) Dalles remplaçant le parquet du premier étage.
(6) Gros boyau appelé aussi « bout du monde ».
(7) Ancienne petite lampe à huile usitée encore dans les moulins.
On écoutait avec respect les anciennes, mas dé Mounada, mas dé Talé, mas dé Michéou, racontant, tout en « débanan l'escagna »(1) les vieilles légendes qui, de génération en génération, s'étaient transmises en s'enjolivant jusqu'à elles.
« Lou loup d'aou Givaudan »(2) qui mangeait les petits enfants. « La Rouméqua d'aou pons dé Coumpana(3), Li Trévo dé la Baouma dé la Queyrolla »(4), La fada blanqua »(5) où les farfadets fouetteurs de jeunes filles jouaient un grand rôle : dehors, le vent gémissait en longues rafales plaintives et, devant l'âtre, les enfants accroupis, glissaient des « castagnas » (6) sous les cendres, mais n'en perdaient pas une des paroles des « mamettes »(7).
Une de ces légendes, surtout, produisait toujours une profonde impression, et lorsque la grand'mère annonçait « La Fada d'aou Castellas », c'était. alors un instant de profond silence troublé seulement par le tic-tac sonore du coucou suspendu dans un coin ou par la mule s'ébrouant dans la paille de l'étable voisine.
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(1) Dévidant l'écheveau.
(2) Le loup du Gévaudan.
(3) Le croquemitaine du puits de Compan .
(4) Les sorcières de la grotte de la Queyrolle.
(5) La Dame blanche.
(6) Châtaignes.
(7) Grand'mères.
Au temps des Seigneurs, vivait la belle Tounette. Elle était la fille d'un « branvé débassaïré dé Couvissoun »(1) qui gagnait sa vie en fabriquant de beaux bas dont Tounette filait la soie à la quenouille « souta lou porgé dé l'oustaou Coumeunaou »(2).
Tounette était belle, une opulente chevelure dorée encadrait l’ovale d'une figure régulière qu'animait deux grands yeux bleus, une taille fine, sa démarche souple et gracieuse formaient un ensemble de charmes et de distinction qui en faisaient la reine de la Cité.
Bonne, sage, travailleuse, elle allait régulièrement à la grand’messe et à vêpres, et de la Planette au Périguis, ce n'était qu'un cri d'admiration élogieuse pour la jolie Tounette.
Un jour, un de ces jours d'automne tardif', où le soleil donne à la campagne vaunageole une couleur tendre si séduisante, imprégnant l'air d'une douce et mystérieuse mélancolie, Tounette était à « l'aoulivéda »(3) dé Favas. Campée au milieu de l'arbre, la « canastelle »(4) suspendue en bandoulière devant elle, tout en faisant la cueillette, elle chantait d'une voix pure et pour le plus grand ravissement dis aouliveïras(5), la « Cansoun dé la Crousada »(6) et « lou noblé Comté Ramoun(7). Elle égrenait les perles cristallines de sa voix lorsqu'elle fut soudain interrompue par l'arrivée dans la « faïssa » d'une troupe de gens à cheval à la suite du fils de M. le Baron.
Ce dernier ne pouvait manquer de remarquer la belle Tounette qui, pareille à une rose s'épanouissant sous les chauds effluves du soleil, s'était tue toute rougissante sous les regards du jeune seigneur.
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(1) Fabricant de bas à Calvisson.
(2) Sous le porche de la Maison Commune.
(3) L'olivette.
(4) Petite corbeille.
(5) Oliveuses .
(6) Chanson de la Croisade des Albigeois.
(7) Le noble Comte Raymond (Chanson des Troubadours sur l'invasion du Midi, par Simon de Montfort.
Il la salua comme il aurait fait pour une belle dame, la complimenta gentiment et demanda le sentier conduisant à la ferme de Piélong.
Tout en surmontant son trouble, Tounette le renseigna. « Siès euna galanta doumisella »(1) remercia le jeune seigneur, en lui jetant au visage un rameau d'olivier qu'il avait détaché à l'arbre voisin, et il s'éloigna en caracolant.
Tout interdite, Tonnelle prit le rameau d'olivier qu'elle glissa furtivement sous son « caraco » (2). Les échos de la Combe n'entendirent plus ce jour-là, ni la Cansoun dé la Cronsada, ni lou Comté Ramoun.
Tounette devint triste, recherchant la solitude, priant et pleurant souvent. Un soir on la trouva sans connaissance au pied de l'autel dans la chapelle « d'aï sé doulon »(3); « Aï vis la fada hlanqua », murmura-t-elle en reprenant ses sens !
Les fêtes du Carnaval arrivèrent. la jeunesse alla noyer le « Cararnantran »(4) après de folâtres ébats dans les prairies de Fontanille. Tounette, songeuse, écoutait dans une charmille de lauriers les espiègleries de ses amies; soudain, elle dut se retenir aux touffes d'arbustes pour ne pas défaillir.
La dame de Calvisson, en promenade avec son fils, venait de traverser les prés, saluée respectueusement par les jeunes gens, et son fils avait adressé au passage un sourire ensorceleur « à la pichouna touta esmouguda »(5).
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(1) Tu es une charmante demoiselle.
(2) Corsage.
(3) Des sept douleurs.
(4) La Caramantran était un bonhomme de paille qu'on promenait dans les rues et qu'on allait noyer à Fontanille ou à la rivière le dernier jour du Carnaval, après une mascarade et avec force coups de fusil.
(5) La petite toute émue .
Après carême, Tounette fut demandée en mariage par « Jou Bisé »(1), fils d'un vieux serviteur du château. C'était un beau gars, solidement planté, n'ayant pas son pareil dans la Vaunage pour jouer à « la paouma »(2) ou pour mener la " danse dis abbats »(3).
Son père la fiança, heureux de cette alliance. « Aco yé lévara sis layès »(4) se dit-il !!! Le mariage eut lieu. La dame du château envoya aux jeunes époux une capeline pour Tounette, et une paire de draps en toile écrue qui firent l'admiration de tout le pays.
Le soir de ses noces, Tounette disparut. Toutes les recherches furent vaines. Aux portes de la ville, personne n'était sorti; le veilleur du château avait bien cru voir deux ombres surgir des souterrains extérieurs qui montaient du côté de la ville dans la cour du château(5), mais après une invocation à « nosta bona méra » il n'avait soufflé mot, ayant depuis longtemps appris à se taire.
Bisé failli devenir fou de désespoir, et les jeunes gens chantèrent sa douleur dans un naïf « réveillé »(6) qu'ils firent entendre dans la nuit sous les fenêtres de leur belle.
Bisé, à la doulou s'abandonna(7)
Dé Tounetta ploura lou tristé sor.
Bisé suivit à la guerre le jeune seigneur, ni l'un ni l'autre n'en revinrent, mais le père de Bisé fut un beau matin de printemps pendu par ordre du tout puissant et très haut Seigneur à la « Poutencia di Ro Mort » où les corbeaux vinrent déchiqueter en lambeaux le corps du pauvre vieillard.
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(1) Diminutif de Louis, Louisé-Bisé.
(2) Jeu de la Paume.
(3) Pour la fête locale, la jeunesse désignait les directeurs de la fêle : « Lis abbats » et leurs cavalières « lis abbades » ils dirigeaient les divertissements. ouvraient le bal et conduisaient la farandole .
(4) Cela lui enlèvera ses chagrins.
(5) La légende indique un souterrain mettant en communication le château fort du moyen âge avec la ville. On prétendait qu'il aboutissait. à la maison Bernard démolie lors de la construction des Halles.
(6) Chanson que les jeunes gens allaient chanter au sortir du réveillon de Noël, dans les rues du village.
(7) Chanson qui se chantait encore au commencement du XIXème siècle.
Trois jours avant que la nouvelle de la mort du jeune Seigneur fût apportée au château, les gens de Palanquine avaient vu à la « vesprado »(1) deux fantômes errants dans la Combe du Puech du Fort; les gens du village qui osèrent s'y aventurer la nuit suivante revinrent épouvantés.
Ils avaient vu - de leurs yeux vus - une biche blanche aux cornes d'or et un grand bouc à longue barbiche, aux yeux de feu, poussant des cris effrayants qui les avaient glacés de terreur. « Li dos bestias »(2) s'étaient ensuite évanouies dans les ténèbres et à l'endroit même de cette étrange apparition, on trouva le lendemain un rameau d'olivier tout maculé de sang.
On ne revit jamais plus la biche blanche aux cornes d'or, ni le grand bouc aux yeux de feu mais, durant des siècles, la veille du mariage d'une jeune fille du village, on voyait apparaître parfois à l'heure du crépuscule - sur les hauteurs du château, « la fado blanqua »(3), et parmi les pins et les chênes verts, à travers le hululement de la chouette, on distinguait de longues plaintes et. des sanglots.
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(1) Vesprée le soir.
(2) Les deux bêtes.
(3) La Dame blanche.
Relecture Lysiane et Christian LETELLIER