Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage
22 Février 2024
Nous avons découpé le livre en quatre parties comprenant les chapitres suivants :
► Partie 1 • Édito • Chap.1 La baie d'Aigues-Mortes, un potentiel naturel • Chap.2 Le sel avant Louis XI
► Partie 2 • Chap.3 Le développement du salin de Peccais, un enjeu royal • Chap.4 Les chemins du sel
► Partie 3 • Chap.5 Administration royale, gabelle et répression des fraudes
► Partie 4 • Chap.6 Du 18e siècle à la Révolution • Chap.7 De 1789 à aujourd'hui
À la même époque, le frère de Louis IX, Charles d'Anjou comte de Provence dans l'Empire, a commis l'erreur de quintupler la gabelle sur le Rhône perdant ainsi la clientèle de ses marchands de sel, qui utilisaient la voie du Rhône, même pour le sel acheté en Languedoc parfois, car le coût des barques étaient nettement plus bas, même gabellées à l'ancien tarif, que celui des charrois passant par la terre. Les marchands se tournent donc provisoirement vers le chemin languedocien qui prospère.
Cette différence des coûts de transport entre charrois et barques n'échappera pas au roi de France, C'est pourquoi il refuse aux habitants d'Aigues-Mortes de détourner le chemin du sel passant par Lunel à leur profit vers 1270. Il sera plus simple de s'emparer de Lunel et de maintenir le chemin qui fonctionne économiquement très bien plutôt que de tirer des routes improbables à travers le marais à la rentabilité douteuse. Cependant l'approvisionnement du sel à Aigues-Mortes en 1275 est pris « en tenaille » entre l'exorbitante gabelle de l'impérial cousin de Philippe III le Hardi et les leudes et péages du baron Gaucelm à payer sur le chemin par Lunel.
L'Abbé de Psalmodi va fournir au royaume l’occasion de se doter de salins en baie d'Aigues-Mortes. Il avait pu remettre en eau ses petits salins et en avait développé seize depuis peu, en association avec le seigneur d'Aimargues, pour leurs pêcheries respectives.
En 1275, Philippe III interdit la remontée du sel par le Rhône. Cependant l'abbé remonte son sel par le chemin des poissonniers, passant par Saint-Laurent-d'Aigouze et Teilhan via Aimargues, ce qui permet de contourner Lunel et de rattraper le chemin vers le Nord au niveau actuel de Gallargues. Mais les aménagements construits par l'abbaye pour ses salins gênent le fonctionnement de la mise en eau du nouveau port d'Aigues-Mortes. Voilà le prétexte idéal.
Le 7 mars 1290, le roi Philippe IV le Bel « nationalise » les quatorze salins de Peccais pour y faire son sel, deux restant à I'abbé. En 1295, il s'empare de la baronnie de Lunel, par échange, grâce à l'action locale de Guillaume de Nogaret qui lui conçoit un plan de financement pour prolonger le canal et développer le port de Lunel à son profit comme à celui des habitants et entrepreneurs locaux dont Nogaret fait partie. Ainsi Philippe IV le Bel a-t-il la mainmise sur tout le sel arrivant des étangs du Languedoc à Lunel et sur les Salins de Peccais.
Il reste à maitriser le chemin par le Rhône, seul débouché rentable pour Peccais si l'on veut remonter le sel sur le nord du royaume. La stratégie politique et familiale de la régente Blanche de Castille, arrière-grand-mère du roi Philippe IV le Bel, va payer. Le comte de Provence cède enfin sur le montant de la gabelle, constatant le dégât sur le marché de ses propres salins au vu de la concurrence développée par ses cousins de France en Languedoc.
Une société internationale d'exploitation est fondée entre l'Empire et le royaume de France. Dès 1301, la Compagnie du Grand Tirage du Rhône est créée. Le roi s’associe, à part égale, du tirage avec son petit cousin. En 1358, un consortium remplace la première compagnie. Peccais est en marche pour ne plus jamais s'arrêter.
Si les déboires du marchand italien Francesco Datini sont connus par ses écrits, malheureux investisseur à Peccais qui se frotta à l'univers impitoyable du sel, on en oublie souvent la description qu'il fit dans ses comptes, du fonctionnement des salins à cette époque qui témoigne de la stagnation des techniques de collecte du sel encore filmées aux salins d'Aigues-Mortes au début du 20e siècle avant la mécanisation. Datini précise que le sel des huit salins qu'il exploite en 1376 est de bonne qualité, notamment celui de la Donzelle. En 1738 l'académie des sciences le démontre.
Depuis le rachat des salins par le roi, les saliniers ne sont plus maîtres des salins. Un bail emphytéotique les lie au royaume. Ce sont des entrepreneurs laïcs, en regroupement familial, sur des concessions. Les propriétaires de cabanes et pêcheries, laïcs ou religieux, adoptèrent le même principe de gestion pour le marais. Ainsi le long du canal de Lunel des concessions sont encore aujourd'hui gérées de la même façon depuis 1480 pour certaines, avec transmission aux descendants.
Peccais « décolle » dès le 14e siècle pour rattraper le niveau des productions languedociennes et les dépasser très vite. Les salins provençaux ne se remettront jamais vraiment au même niveau et la Compagnie du Grand Tirage du Rhône profitera surtout à la France, faisant le lien entre Aigues-Mortes et Paris, permettant une diffusion dans toutes les provinces.
Vient alors le temps de la défense et de la protection du sel, devenu or blanc. Gardarem lou saou ! fut alors l'objectif principal du roi. Le fort de Peccais est aujourd'hui l'un des plus vieux gardiens du sel de France.
Dès la dernière décennie du 13e siècle, un pont est lancé sur le marais de l'Aïgou Mour, contrôlé par la tour Carbonnière construite au début du 14e siècle pour rejoindre à pieds secs Vauvert et Saint-Gilles, porte de l'Empire, qui fut la seule route jusqu'au 20e siècle reliant Aigues-Mortes à Saint-Laurent-d’Aigouze.
Mais plusieurs chemins du sel et de denrées diverses existaient avant le 13e siècle, connus par les archives. Le Cartulaire de Nîmes, dans une charte datée de 923, mentionne un chemin allant de Psalmodi à Clarensac. Le « chemin des Poissonniers » figure sur plusieurs cadastres, montant de la baie et les chemins du Languedoc allant vers Nîmes ont parfois servi de séparation entre les communes traversées. Entre Codognan et Le Cailar, il descend dans un valat avant Vergèze, encore appelé nega saouma.
ENTRE AIGUES-MORTES ET SAINT-LAURENT D'AIGOUZE, ON TROUVE LA TOUR CARBONNIÈRE ET L'ABBAYE DE PSALMODI
Le camin salinié longeait les étangs depuis Narbonne, pour collecter le sel du chapelet de salines au plus près. Il arrivait aux cabanes de Lunel mais repartait soit sur Ambrussum, pour aller sur Nîmes, soit sur Sommières pour aller vers les Cévennes, les deux ponts romains permettant de passer le Vidourle en l'absence du pont de Lunel construit plus tard.
Depuis le grau d'Agde, via l'étang de Mauguio, on pouvait atteindre la baie d'Aigues-Mortes par la Radelle puis rejoindre par le canal du Bourgidou le Rhône de Saint-Roman, frontière d'Empire, passant par Saint-Gilles et descendant au grau de la Chèvre. Un chemin muletier partant d'Aimargues, allant sur Vauvert puis longeant l'étang du Scamandre côté nord, remontait ensuite la rive française du Rhône de Saint-Roman jusqu'à Saint-Gilles et Fourques. Les capoulières encombrées de filets restent un moyen sûr car elles gênent la piraterie, et les barques y sont plus en sécurité qu'en haute mer.
Après la réunion du Comté de Toulouse au Royaume de France, deux grands chemins réglementés encadrent la baie d'Aigues-Mortes au début du 14e siècle pour acheminer le sel, récupérant pour partie les chemins existants.
L'ABBAYE DE PSALMODI ET LES FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES EN COURS. DANS LE MUR ON APERÇOIT LE RÉEMPLOI DE MATÉRUAUX DE RÉCUPÉRATIONS
Le premier est le chemin de terre languedocien, exempté de gabelle jusqu'en 1411, il remploie le camin salinié montant des étangs depuis Sigean et de Lunel, part vers l'intérieur du Gard actuel jusqu'au Rhône. Les villes relais se voient dotées de greniers, qui vont faire leur fortune. L'obligation de passer par ce chemin, contrôlé et gardé jusqu'à la Révolution sera un facteur de développement urbain. Pour la région, il sera l'alternative au chemin rhodanien, qui n'intéresse pas les marchands languedociens du sel. Pour raccorder Pont-Saint Esprit, ce chemin est plus court, et jusqu'en 1411 on n'y paye pas la gabelle.
Bien que le coût par charrois soit bien supérieur à celui des barques, les péages de la Radelle, d'Aigues-Mortes et les innombrables péages rhodaniens les décourageaient. La seconde voie d'acheminement est le Rhône. La compagnie franco-impériale du Grand Tirage du Rhône, créée en 1301 reprend le principe de l'ancien tirage provençal, avec gabelle et péages. Le roi de France est associé à 50% avec le Comte de Provence son petit cousin angevin. Cette voie atteint vite une envergure nationale.
Côté royaume c'est véritablement cette voie qui va permettre le développement du salin d'Aigues-Mortes. La compagnie réglemente la répartition pour moitié, avec pouvoir de compensation en cas de déficit de sel entre les parties, pour assurer les commandes. L'assiette est maintenue grâce à un rééquilibrage annuel. Le sel est tiré avec les moyens de chaque rive et fourni par les salins respectifs des associés. Les tirages s'afferment séparément jusqu'en 1484. Des convois de barques de plusieurs kilomètres remontaient le Rhône jusqu'à Pont-Saint-Esprit. Une assurance est prévue en cas de naufrage pour les marchands utilisateurs. Toutefois si la remontée par le Rhône est globalement plus attractive en termes de coûts, la voie n'est pas sûre. Les pirates attendent les conducteurs de sel à l'entrée du Bourgidou où passent aussi les marchandises arrivant en barques depuis Montpellier ou par voie de terre via le pont de Lunel pour s'embarquer sur le Rhône, En 1435, une compagnie d'arbalétriers escorte les convois. En 1461, le seigneur de Fourques monte une police de nuit dans l'espoir d’attraper les pirates. Le maintien de ces deux voies terrestre et fluviale est une stratégie économique visant à promouvoir Peccais, mais aussi les salins du Languedoc pour lequel le roi accordera des avantages fiscaux pour financer les modernisations nécessaires.
Le Roi, baron de Lunel dès 1295, maintient les péages, autorise la création du nouveau pont et fait fermer l'ancienne route. II acte la prolongation du canal jusqu'à la ville de Lunel tout en développant Aigues-Mortes. La réglementation de la distribution entre le royaume et l'Empire en témoigne : le sel du Languedoc, fournît le tiers des sénéchaussées de Nîmes et Beaucaire, Toulouse et Carcassonne ainsi que le Rouergue. Le sel de Peccais fournit les deux autres tiers, plus le Vivarais, la grande région lyonnaise et le Mâconnais. C'est « le tirage à la part du roi ». Enfin, le sel du Languedoc fournit, à moitié avec l'Empire, le Comtat Venaissin, le Dauphiné, la Savoie, la Bresse et Genève. Le marché est fixé nationalement. Les deux chemins encadrant la baie d'Aigues-Mortes se rejoignent à Pont-Saint-Esprit, où contre le « Petit Blanc », en sus d'autres taxes, on rechargeait pour partir vers le nord et les Alpes. La Compagnie du Grand Tirage du Rhône cessera de fait, avec le rattachement de la Provence au Royaume de France sous Charles VIII et Louis XII simplifiera le tirage au début du 16e siècle, supprimant un niveau de prélèvements, ce qui en doublera le revenu. Lunel résistera cinq siècles avant de lâcher définitivement le marché du sel à Aigues-Mortes, le canal du Midi, apportant d'autres possibilités.
LITHOGRAPHIE DES FRÈRES THIERRY (1839) (à ce moment là, il ne reste que deux arches) - PEINTURE DE GUSTAVE COURBET (1857)
► Partie 1 • Édito • Chap.1 La baie d'Aigues-Mortes, un potentiel naturel • Chap.2 Le sel avant Louis XI
► Partie 2 • Chap.3 Le développement du salin de Peccais, un enjeu royal • Chap.4 Les chemins du sel
► Partie 3 • Chap.5 Administration royale, gabelle et répression des fraudes
► Partie 4 • Chap.6 Du 18e siècle à la Révolution • Chap.7 De 1789 à aujourd'hui