Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage
21 Décembre 2023
Cet article a été composé d'extraits tirés de l'ouvrage « ANAGIA » de Michel Py.
En 2019 une conférence consacrée aux oppida de la Vaunage a été présentée par Jean Pierre VINCHON avec l'accord de l'auteur.
L'oppidum de Mauressip (ou Mouressipe dans la graphie ancienne, toponyme formé sur la racine occitane mourre: museau, mamelon, colline) se situe à mi-chemin entre les villages de Saint-Côme et de Maruéjols. Il se présente comme une butte calcaire située au nord du bassin de la Vaunage, culminant à 184 m d'altitude et protégée sur tout son pourtour par de fortes pentes. Le site, a éveillé l'intérêt des chercheurs de la fin du XlXe et du début du XXe s. à l'occasion de découvertes - principalement d'époque romaine - effectuées à la base de la colline, autour de la Font de Robert, tandis que l'oppidum est resté vierge de toute recherche jusqu'aux années 1960.
De 1962 à 1966, des fouilles peu rigoureuses furent ouvertes dans la zone sommitale par une équipe d'amateurs conduite sous le contrôle épisodique de Victor Lassalle, conservateur du Musée archéologique de Nîmes. Des recherches ponctuelles, limitées au voisinage de la tour sommitale, ont été conduites ensuite sous la responsabilité de F. Py de 1969 à 1974.
Les fouilles menées sur l'oppidum ont concerné trois zones, numérotées I à l'est, II au centre et III à l'ouest; au sein de ces espaces, les secteurs fouillés ont été numérotés en lettres. Nous en verrons au chapitre suivant les principaux apports concernant le IIe âge du Fer.
Quelques indications sur la culture matérielle et la chronologie
Les niveaux archéologiques illustrant la première occupation de Mauressip ont pour la plupart souffert des remaniements postérieurs et ont livré au total un mobilier peu abondant et très fragmenté qui n'illustre que partiellement la culture matérielle de cette phase, encore méconnue. Le matériel relevé montre que les céramiques non tournées sont prédominantes (86% des framents de vaisselle). Les céramiques tournées comprennent essentiellement des vases à pâte claire.
Céramique à pâte claire - Objets en bronze provenant des niveaux les plus anciens de l'oppidum de Mauressip
On fait habituellement commencer le IIe âge du Fer au milieu du Ve s. av. n. è. En Europe tempérée, cette époque marque le passage de la « civilisation hallstattienne » (avec pour site éponyme le gisement de Hallstatt en Autriche) à la « civilisation laténienne » (par référence au site de La Tène en Suisse). Une telle distinction est difficilement applicable aux régions méditerranéennes où l'on rencontre des cultures différentes.
Dans le Midi de la France, le IIe âge du Fer voit se renforcer la différenciation des faciès régionaux sous l'effet de contacts et d'influences spécifiques: ainsi, d'ouest en est, le groupe « ibéro-Ianguedocien » en Languedoc occidental et en Roussillon, entretenant des rapports étroits avec le Levant espagnol; le groupe « rhodanien » en Languedoc oriental et en Provence occidentale, fortement marqué par l'activité massaliète ; puis, au-delà de Marseille, le groupe « ligure » jusqu'à la frontière italienne. Dans toutes ces zones, l'un des traits les plus caractéristiques de la deuxième partie de l'âge du Fer est le processus d'urbanisation qui touche la plupart des agglomérations, avec l'apparition puis la généralisation des enceintes monumentales et des habitations construites en pierres et en adobes, et concurremment la régularisation des plans urbains.
Telle est la chronologie qu'illustre l'oppidum de Mauressip dans la suite de son occupation protohistorique. On a vu au chapitre précédent que le sommet de ce site était occupé entre 475 et 425 environ par un village de cabanes en matériaux périssables se plaçant tout à fait dans la tradition du Bronze final et du 1er âge du Fer. À partir de la fin du Ve s., un habitat construit en pierres se développe sur le même lieu, tandis que l'agglomération s'étend à la base sud et ouest de la colline.
Contrairement aux villages antérieurs, l'oppidum de Mauressip témoigne au Ile âge du Fer d'une réelle durabilité, puisqu'il est habité sans hiatus nettement avéré jusqu'au début de notre ère. Cependant, cette occupation connaît des hauts et des bas avec deux phases de forte expansion, au IVe et au IIe s. av. n. è., suivies de périodes de moindre densité, voire de rétraction.
Exemple de maisons bâties en pierres de la fin du Ve s. et du début du IVe s. dans la zone II de Mauressip
Des échanges actifs et renouvelés
La fin du Ve s. et la première moitié du IVe s. connaissent des échanges soutenus. Les amphores vinaires, dont le volume d'importation est identique à celui de la phase précédente (24 % des tessons recueillis), proviennent désormais en totalité de Marseille, témoignant de la mise en place d'un véritable monopole massaliète sur la diffusion du vin dans cette région. Il en va de même pour la vaisselle tournée pour laquelle le rôle de la colonie phocéenne est majeur, soit comme producteur (mortiers micacés, céramique à pâte claire et pseudo-attique), soit comme importateur (céramique attique), et dans tous les cas comme diffuseur.
Cette intense activité commerciale, qui touche le Languedoc oriental par le relais des comptoirs littoraux, et sans doute pour la Vaunage par l'intermédiaire du Cailar, se traduit par une croissance des importations de vases tournés: si les céramiques grises monochromes ont quasiment disparu, les vases à pâte claire souvent ornés de bandes peintes abondent (13 % des fragments de vaisselle), avec des coupes et des coupelles à une anse, des kylix, des oenochoés et des olpés, toutes formes de typologie grecque.
Le répertoire des vases attiques à figures rouges, qui représentaient les céramiques les plus précieuses - pour ne pas dire les plus prestigieuses - apparaît à Mauressip tout à fait spécifique. Il s'agit en effet essentiellement de coupes à anses munies de pieds à tige ou annulaires et de grands cratères du type « en cloche », constituant un service caractéristique d'une consommation du vin à la grecque» : cratères pour le mélanger, coupes pour le boire.
Vases non tournés - Éléments de coupes pseudo-attiques - Céramiques à pâte claire de fabrication massaliète découverts à Mauressip
C'est aussi à cette époque qu'apparaît la monnaie, sous la forme d'une obole de Marseille en argent de 0,68 g, présentant au droit une tête à droite et au revers une roue à quatre rayons contenant la légende MA dans deux cantons. Cette pièce de la fin du Ve ou du début du IVe s., découverte à la base des remblais de la terrasse au sud de la tour de Mauressip, n'est pas la plus ancienne connue dans la région nîmoise; mais c'est la première attestée en Vaunage.
Le mélange de traditions et de nouveautés perçu dans l'analyse de la céramique se retrouve dans le faciès des objets utilisés à cette époque pour la parure, le vêtement, la toilette et diverses activités. La typologie des fibules, pour la plupart en bronze, en est une illustration. On trouve en effet parmi elles à la fois des exemplaires à pied en bouton conique représentant l'ultime évolution du type « Golfe du Lion » attesté en Gaule méditerranéenne depuis près de deux siècles; et des formes nouvelles à pied replié sur l'arc: ainsi les fibules à pied en tête de cygne ou en forme de ressort, ou encore à arc orné de bâtonnets de corail ouvragés.
Beaucoup d'objets simples présentent une typologie stable, tels que les anneaux de vêtement ou de ceinture, un bracelet-armille à tige mince, une bague plate, tous types déjà rencontrés. Il en va de même pour les fusaïoles en terre cuite, représentées par des formes immuables et accompagnées ici par un fuseau en os à tête moulurée.
Enfin, comme dans les phases précédentes, certains témoins peuvent être mis en rapport plus ou moins hypothétique avec des pratiques sociales ou rituelles. On citera par exemple ce minuscule dé à jouer en bronze, ou ce fragment de hache polie marqué de profondes rainures sur les deux faces, qui put servir de talisman.
1-fibule à pied relevé en bouton cônique; 2-fibule à pied replié sur l'arc de type Tène; 3-fibule à pied en tête de cygne; 4-fibule à pied en forme de ressort; 5-grande fibule décorée de corail; 6-7-8-9-parures diverses; 10-minuscule dé à jouer
Faut-il traiter de même les chenets décorés qui se répandent à cette époque en Languedoc oriental alors qu'ils sont attestés bien plus tard en Provence et quasiment inconnus en Languedoc occidental? Un foyer décoré démantelé en multiples fragments a été retrouvé dans le remplissage de la fosse PC863 à la base de l'oppidum de Mauressip: il est orné d'une grande grecque sur son pourtour, tandis que la plage centrale lisse est entourée de motifs incisés en V imbriqués. Non loin de là, on a recueilli en surface un chenet zoomorphe, représentant probablement un cheval, dont les flancs sont décorés d'une grecque semblable et le cou porte un collier bouleté.
FRagments d'un foyer décoré provenant du quartier bas de Mauressip - Chenet en terre cuite, représentant un cheval portant un collier de perles
C'est dans la deuxième moitié du IVe s. av. n. è. qu'est construite au point le plus haut de la colline une tour carrée entourée d'une terrasse au détriment des habitations antérieurement implantées en ce lieu. Dans un premier temps, il s'agit d'une construction en calcaire local (que nous dénommerons « tour 1 ») qui sera plus tard entourée par une enveloppe en grand appareil de pierre de taille (tour II ).
La tour primitive est un massif plein de plan quadrangulaire, dont les côtés mesurent au nord 5,41 m, à l'est 5,05 m, au sud 5,72 m et à l'ouest 5,49 m. La hauteur conservée varie de 1,50 à 2,20 m par rapport au socle rocheux. Le monument est bâti en pierre dure et gélive (calcaire néocomien) et comblé de blocs irréguliers, d'éclats de taille et de pierraille de même provenance. Lappareil des parements est très soigné: on a utilisé des moellons de grande taille (jusqu'à 2 m de long)
Comparativement à la phase précédente, la documentation concernant la fin du IVe s. et le IIIe s. av. n. è. est extrêmement ténue. Dans la plupart des habitations, le fouilleur ne signale que deux phases d'occupation, l'une du IVe s., l'autre du IIe s. av. n. è. se prolongeant parfois jusqu'au début du Haut Empire.
Néanmoins, on relève quelques tessons attiques à vernis noir de la deuxième moitié du IVe s. et des imitations, quelques tessons de l'atelier « des petites estampilles» de la fin du IV' s. ou de la première moitié du IIIe s. (dont une estampille représentant un crabe), quelques fragments de vases fabriqués à Rosas (Catalogne espagnole), le tout provenant principalement de la partie sud de la terrasse entourant la tour primitive (zone II).
On peut en conclure que, même si aucun véritable hiatus n'est perceptible dans la fréquentation du site, l'oppidum de Mauressip et sa base connaissent une nette rétraction de l'habitat entre 350 et 200 environ av. n. è., seuls en l'état actuel des connaissances les environs de la tour sommitale livrant des témoins de cette époque.
1-bords de bol et estampille au crabe; 2-imitation régionale de cratère attique; 3-coupr estampillée de Rosas; 4-fibule en bronze - La tour sommitale de Mauressipp
Après cet étiage, l'agglomération de Mauressip connaît à nouveau une occupation dense durant le IIe s. av. n. è. Au sommet de l'oppidum, les maisons créées à la fin du Ve s. et au début du IVe s. sont systématiquement réoccupées à cette époque. Dans plusieurs cas, notamment dans la zone III, elles présentent des réfections avec de nouveaux murs montés sur les anciennes structures qui paraissent avoir été ruinées. Des petites cellules peuvent aussi être réunies à cette occasion en une plus vaste, comme par exemple dans la maison Z de la zone II. Les prémices de l'urbanisation du IIe âge du Fer.
Néanmoins, ces transformations pour nombreuses qu'elles soient, ne remettent pas en cause l'organisation générale des quartiers ni le tracé des rues, du fait de la topographie naturelle et de la mise en paliers antérieure qui ont joué comme des contraintes. De même, la terrasse environnant la tour est préservée au IIe s., tandis qu'à la fin de ce siècle et au 1er s. av. n. è. des maisons y seront construites, notamment au sud et à l'est de la tour, réduisant considérablement le dégagement créé autour du monument.
Plan d'ensemble des structures découvertes au sommet de l'oppidum - Maison en pierre de la zone III, vue du sud - La tour sommitale après consolidation du parement estérieur.
La réfection de la tour sommitale contraste fortement avec cet habitat relativement rustique construit selon des techniques et sur une trame urbaine héritées. C'est en effet au début du IIe s. av. n. è. que la tour primitive en pierres locales est entièrement chemisée - et vraisemblablement complètement masquée - par un parement en grand appareil de pierres de taille d'origine exogène. On dénommera cette réfection « tour II ».
Le parement extérieur plaqué tout autour de l'élément central a une épaisseur variant de 1,30 m (à l'est) à 1,60 m (au sud et au nord), de sorte qu'en élévation le monument, désormais presque carré, mesure environ 8 ,50 m de côté.
Ce monument à plusieurs égards exceptionnel, une fois décrit et daté, soulève encore plusieurs questions concernant d'éventuels rituels pratiqués au cours ou à la suite de la construction de la tour II. À ce propos un bétyle en pierre locale à sommet cintré trouvé sur la terrasse sud, qui était probablement planté près de son parement; or, l'on sait le rôle de telles stèles dans les rituels de l'âge du Fer méridional.
On peut aussi relier à cette thématique deux fosses découvertes au contact du monument, symétriquement de part et d'autre, l'une contre la face est, l'autre contre la face ouest: ces dépressions, creusées à partir du niveau de circulation de la terrasse, contenaient chacune un amas d'ossements d'animaux (notamment d'ovidés et de bovidés) découpés en gros quartiers. Il se pourrait que ces concentrations correspondent à des reliefs de banquets.
Restent enfin les cupules présentes tout au long de la face nord de la tour, sur la partie débordante de la semelle de fondation. Ces creux répartis de façon irrégulière ont été d'abord interprétés comme de possibles traces de gouttières tombant d'une corniche en débord couronnant le parement en grand appareil. Cette explication est en vérité incompatible avec la forme arrondie des creusements, beaucoup plus franche que ce qu'auraient pu provoquer des gouttes d'eau.
Bétyle en pierre locale trouvé près de la tour - Creusement conique à l'angle d'un bloc réutilisé, correspondant à une crapaudine de porte - Détail de cupules reliées par des rainures en creux.
Le mobilier illustrant le IIe s. av. n. è. à Mauressip est abondant. Comme pour les phases précédentes, il est constitué en majorité de céramique non tournée de fabrication locale, qui représente 80 % de la vaisselle utilisée dans la première moitié du siècle et encore 75 % dans la deuxième moitié. Les formes ont certes évolué depuis le IVe s., mais les catégories de vases et les usages qu'on peut leur attribuer n'ont guère changé. Les urnes, dont la panse est désormais la plupart du temps peignée, forment la moitié du répertoire; on leur reconnaît traditionnellement des fonctions de conditionnement et de cuisson à l'étouffée. Les coupes utilisées pour le service montrent pour la plupart des profils simples, arrondis ou légèrement carénés, et sont munies de fonds plats, creux ou annulaires.
La vaisselle d'importation, qu'elle soit d'origine lointaine ou régionale, est bien représentée, mais dans des proportions guère plus fortes qu'au IVe s. (20 à 25 % des tessons) et par des produits en grande partie nou veaux. Les productions massaliètes (mortiers et cruches à pâte claire) sont encore attestées en petit nombre; de Marseille provient aussi sans doute une lampe à pâte micacée, portant sur le bec une marque malheureusement effacée.
Quelques tessons de campanienne* portent des graffitis gravés sur le vernis à la pointe fine: l'un représente un sanglier à crinière dressée, un autre une rouelle à rayons, un troisième une figure absconse. D'autres encore illustrent les graffitis « gallo-grecs».
* En forme de cloche
Vases en céramique campanienne, patère, bol, coupelle - Grafitis sur céramique campanienne - Lampe delphinoforme.
Bien que les échanges ne soient pas encore totalement monétisés et que le troc reste à l'évidence, la monnaie est désormais moins rare. La plupart des pièces viennent de Marseille, avec des bronzes au taureau, ou des oboles en argent à la roue et des bronzes des Nîmes au sanglier
Quelques petits objets du IIème s. av. n. e. de Mauressip ; mortier et lampe à pâte claire de Marseille, fusaïole en terre cuite, bracelet en lignite, lissoir en pierre - parures en verre
Relecture Lysiane et Christian Letellier