Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage
20 Février 2024
En provençal, Agachoun veut dire : Cabane de chasseur. Etre à l’Agachoun, c’est être aux aguets, épier ou simplement être sur ses gardes.
Ce belvédère de 168 mètres d’altitude permettait, probablement, aux seigneurs de Nogaret de surveiller la plaine où nos aïeux travaillaient dur, dans une sorte de servage.
Les garrigues étaient le refuge des paysans le dimanche, jour du seigneur. Ils bâtissaient ces merveilleuses murettes en pierre sèche pour se créer un lopin de propriété individuelle.
La polyculture céréalière dominait : blé, orge, pommelle, avoine, luzerne… et les chevaux étaient nombreux. Au 16e siècle, les vignes étaient rares.
Aussi, il ne faut pas s’étonner de trouver en Vaunage les vestiges de 41 moulins, 21 à eau, les plus anciens, 20 à vent (parfois jumelés), activés par lou mistral, lou garbin, lou marin ou la tramontana.
Les moulins à eau arrivent d’Orient en Gaule avec l’empereur Auguste.
On trouve à Barbegal, près d’Arles, à proximité de l’abbaye de Montmajour, une extraordinaire meunerie hydraulique du 3e siècle, avec 16 meules et roues à aubes pouvant moudre 3 tonnes par jour.
Nos moulins à eau de Vaunage sont plus modestes et plus tardifs :
Le premier est celui du prieuré de Livières en 1115, sur le ruisseau Tourille.
Vers 1611, on a 5 moulins sur l’Escatte, dans l’ordre :
- Celui de la source de Fontanille dit de Cotelle.
- Celui de Parran, dans le quartier de Floran.
- Celui du pont, où vous pouvez lire encore, en vieux français : « aime dieu et ton prochain come toy même de May 1597 ». C’est l’heureux temps d’Henri IV et de l’édit de Nantes, où catholiques et protestants vont enfin vivre une courte période paisible, après 40ans de guerres fratricides.
- Un peu plus bas, celui de Fouilhaquet, du nom de sa propriétaire qui épousa en 1629 Jean de Saurin. Leur fils, Jean II de Saurin, Académicien et mécène fit construire le temple de Calvisson en 1656.
- Le cinquième sur l’Escatte est celui de Jalot, signalé en 1645.
En ce qui concerne le Rhôny, nous pourrions parler d’une dizaine de moulins à eau, depuis la Fontaine d’Arques à Caveirac, jusqu’a celui de Pascalet. Tous ont disparu. On en connait les sites.
Mais les eaux de nos torrents sont capricieuses et souvent insuffisantes, surtout l’été, pour actionner les roues et leurs lourds mécanismes. C’est pourquoi naissent nos moulins à vent.
Eux aussi viennent d’Orient. On les appelle « Turquoise », de Turquie, vers l’an 1000. Ils idonnent parfois leur nom à une ville, par exemple Moulins sur Allier.
Ils inspirent les écrivains et les peintres : Rembrandt était fils de meunier et Van Gogh les découvrit en Provence. Regardez les bien- c’est la poésie flottant dans l’azur et une berceuse :
« Meunier ! Tu dors ?
Ton moulin, va trop vite
Meunier ! Tu dors ?
Ton moulin va trop fort »
Le meunier peut dormir, lou mistral, lou garbin, lou marin ou la tramatana font le travail à la place de l’homme et la rose des vents danse sa valse lente.
Aussi ces moulins à vent comme nos capitelles et plus tard nos mazets, sont le lieu de joyeuses festivités. Écoutons Alphonse Daudet.
« Notre pays, mon bon monsieur, n’a pas toujours été un endroit mort et sans refrain comme il est aujourd’hui. Auparavant, il s’y faisait un commerce de meunerie et, dix lieues à la ronde, les gens des mas nous apportaient leur blé à moudre…. De droite, de gauche on ne voyait que des ailes qui viraient au mistral, par-dessus les pins, des ribambelles de petits ânes chargés de sacs, montant et dévalant le long des chemins, et toute la semaine, c’était plaisir d’entendre sur la hauteur le bruit des fouets, le craquement de la toile et le dia, hue ! Des aides meuniers. Le dimanche, nous allons aux moulins par bandes. Là-haut, mes meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles comme des reines, avec leur fichu de dentelles et leur croix d’or. On dansait des farandoles !
Ce tableau est un peu trop idyllique pour la Vaunage protestante, persécutées par Louis XIV, après la révocation de l’édit de Nantes et par Louis XIV.
Nous avons alors 20 moulins à vent.
Je ne m’attarderai pas sur ceux qui ont disparu.
Je ne citerai que ceux que l’on peut encore voir et qui méritent une visite d’amitié pour nos aïeux. Et pourquoi pas un circuit organisé.
- Le plus vieux de 1600 est celui des seigneurs de Boissières.
Cet édicule, construit près du Rhôny, et qui doit son nom à sa situation en limite de Bizac, servit à l’alimentation du village de Boissières. Il illustre parfaitement le problème de l’eau pour certaines communes de la Vaunage.
En effet, privée de nappe phréatique, notre plaine n’est alimentée que par de rares filons d’eau, plus ou moins pérennes. Et certains villages ont connu de grandes difficultés d’approvisionnement, jusqu’en 1938, où, un forage implanté chez nos voisins de la plaine du Vistre, amena l’eau en abondance.
- Celui de Fouilhaquet, toujours très fier, est de 1611.
- Celui de Hutter, à Langlade, est de 1634.
- Celui dit de Gravier à Clarensac est de 1694.
- Celui de Verdier au-dessus de Saint Côme est de 1730.
- Celui dit de Jean Cornier à Pascalet est de 1776.
Dès lors on cesse de bâtir, les temps sont devenus mauvais. Mais montons plus haut à l’emplacement du château de Guillaume de Nogaret. C’est le moulin du Castellans (propriétaire Vaiz), de 1714, devenu tombeau Douzil.
Par le raidillon de Zozo, nous arrivons enfin au Roc de Gachone, avec ses quatre moulins renommés :
- Le premier, le plus ancien, dit « vieux Farinière » est de 1720. Il porte le nom d’une famille protestante (Gilly-Farinière) qui a donné plusieurs maires. Ce premier moulin est comme la proue d’un grand navire, toutes voiles dehors. Il sera détruit en 1838 par une tempête ; il n’en reste que le socle.
- Le deuxième, dit « moulin pointu » ou « signal de Cassini », est devenu célèbre dès 1744. François de Cassini de Thury, directeur de l’observatoire de Paris est désigné par Louis XV pour faire une carte d’état-major pour ses armées. Cassini choisit ce moulin comme point de repère et, avec son équipe de savants, de 1747 à 1768, fait des observations géographiques, géométriques, géodésiques. Sa carte paraît en 1781.
- Le troisième, dit « municipal », est bâti en 1770. C’est celui qui porte aujourd’hui la table d’orientation et le mémorial au docteur Farel.
- Le quatrième est de 1774, récemment consolidé.
Ainsi nos quatre mousquetaires ont été à l’Agachoun, surveillant par les fenestrouns, toute la Vaunage.
Les moulins de Hutter à Langlade, de Gravier à Clarensac, de Verdier à Saint-Côme et les moulins du Roc de Gachone
Mais les malheurs vont vite se succéder. D’abord par un crime, la mort d’un des trois fils du meunier Balthazar. Histoire vraisemblable en cette période agitée de luttes religieuses. Un Calvissonnais, Claude Clauzel, fait baptiser ses six enfants clandestinement entre 1757 et 1775, par le célèbre pasteur itinérant du désert, Paul Rabaut, dont la tête est mise à prix.
La population de plus de 2000 habitants est presque entièrement protestante et beaucoup sont privés de leurs biens. Aussi l’agriculture périclite. En 1780, le chômage sévit. La crise économique s’installe.
En 1789, une terrible gelée, moins 11°, anéantit les récoltes. Les oliviers et les mûriers meurent de froid. Les hommes et les troupeaux n’ont plus rien à manger. C’est la famine.
La prise de la Bastille le 14 juillet 1789 n’améliore pas la situation. Le 1er avril 1792, les châteaux brulent : Pondres, Junas, Clarensac, Langlade, Aubais, Gallargues, Aujargues…. Quel feu d’artifice ! Quel sinistre illumination…
C’est la terreur, même à Calvisson. Au mois de mai 1792, on plante les arbres de la liberté, dont celui de Bizac.
Pauvre liberté ! Le 20 janvier 1793, Louis XVI est exécuté. Quelques notables Calvissonnais, dont mon arrière-grand-père François Clauzel, sont emprisonnés. Il faudra la chute de Robespierre pour qu’ils soient libérés. Ils prennent en main la mairie le 11 novembre 1794.
Peu à peu, les passions s’apaisent, les biens expropriés sont rendus, les moulins se remettent à tourner. La prospérité revient. Les petits boulots à domicile fleurissent, chaque maison a son métier à tisser. L’industrie manuelle du textile à Nîmes et Sommières attire nos vaunageols.
En 1797, deux américains de Philadelphie visitent la communauté Quaker de Congénies, qui compte plus de 100 membres. Jean Bénezet de Calvisson les amène jusqu’au Roc de Gachone.
Voici leurs impressions :
William Savery et David Sands « admirent le pays. Les paysans semblent particulièrement paisibles, civils et peu accoutumés à voir des étrangers. Hommes et femmes en train de tailler les vignes, nous regardèrent avec curiosité et respect. Cependant, si les paysans ne semblent pas aussi travailleurs que les allemands, ils vivent généralement mieux »
Mais le marasme va s’installer par l’envahissement de la vigne en plaine et l’apparition de la première machine à vapeur pour moudre le blé, dès 1809.
Plusieurs moulins à eau périclitent. Les moulins à vent lutteront encore pendant 50 ans.
Dans son « Secret de maître Cornille », vers 1866, Alphonse Daudet jette son cri de désespoir et de mort :
« N’allez pas là bas, ces brigands pour faire le pain se servent de la vapeur qui est une invention du diable, tandis que moi, je travaille avec le mistral et la tramontane qui sont la respiration du bon dieu. »
Vous connaissez son désespoir quand il n’a plus de clientèle. Alors joue la solidarité du village.
- « A ce moment les ânes arrivent sur la plateforme et nous nous mettons tous à crier bien fort, comme au beau temps des meuniers.
- Ohé, du moulin ; Ohé, maître Cornille. Et voilà les sacs qui s’entassent devant la porte et le beau grain roux qui se répand par terre de tous cotés….
Maître Cornille ouvrait de grands yeux, il avait du blé dans le creux de sa vieille main et il disait, riant et pleurant à la fois :
- C’est du blé ! Seigneur dieu ! Du bon blé ! Laissez-moi que je regarde. Puis se tournant vers nous :
- Ah ! je savais bien que vous me reviendriez ! »
Ils ne sont pas revenus !
La vapeur et la puissance atomique, semblent aujourd’hui, avoir le dernier mot.
- Eh bien non ! diront deux aveugles en 1881, épris de lumière.
- Eh bien non ! disent quelques nouveaux Don Quichotte.
Nous ferons revivre le Ro d'Agachoun, nous continuerons à épier l'Avenir et l'Horizon, nous refuserons les hermas de la Vaunage, pour nourrir encore les enfants affamés de la terre.
13 mai 1995 - Écrit de monsieur Idebert Exbrayat
Source :
Écrit d'Idebert Exbrayat ( Archives de Line Lioure)
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