Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage

APROMICAV CALVISSON

VIE ET MORT DE GASPARD DE CALVIERE, BARON DE SAINT-COME

QUI EST GASPARD DE CALVIÈRE, (1648-1702)

SEIGNEUR de BOISSIÈRES

Sa vie

Gaspard de CALVIÈRE naît en 1648 à Nîmes, où réside sa famille. Il est le fils de François de CALVIÈRE et de dame Marguerite de PERRINET d'ARGILLIER, originaire du bourg fortifié d'Arzeliers, proche de Laragne-Monteglin, dans l'actuel département des Hautes-Alpes. Tous deux de vieilles familles protestantes. Il se marie le 15 octobre 1674, à l'âge de vingt-six ans, avec Françoise d'ANDRÉ, elle aussi de vieille famille protestante, âgée seulement d'une quinzaine d'années. Cinq enfants naissent de leur union dont trois survécurent; Jean-François, né en 1700, sera celui qui succédera à son père.

A dix-huit ans, Gaspard de CALVIÈRE obtient la charge de cornette dans le régiment de son oncle maternel, le marquis d'ARGILLIER. Le jeune homme vit dans le métier des armes, à l'instar de beaucoup de nobles, une source d'honneurs et de considération puisque, en 1689, alors qu'il est âgé de quarante et un ans, aide de camp du duc de Noailles, il prend part à la campagne du Roussillon. Sa fréquentation des hauts dignitaires ne datait pas de ce moment-là.  

En effet, quelques années auparavant, en 1680, envoyé à Paris par le synode d'Uzès, « ce gentilhomme de mérite qui avait beaucoup de zèle pour la religion et en qui les pasteurs et les anciens de Montpellier avaient toute confiance » sut se montrer sensible aux égards des grands de la cour qui, de par la volonté du roi, avaient mission de réduire ceux qui se disaient « estre de l'erreur extravagante du fanatisme ».
 

Château et blason des Calvière  Château et blason des Calvière

Château et blason des Calvière

Son abjuration

Il est déjà prêt, dans son cœur comme dans son esprit, à renier la foi de ses ancêtres. Aussi, lorsque, chargé de mission par le consistoire, en août 1685, il se rend à Versailles pour obtenir du roi que le temple de Nîmes ne fût point démoli, profite-t-il de ce séjour pour abjurer solennellement devant l'archevêque de Paris et dans la chapelle du duc de Noailles.

La conversion des huguenots nîmois

Lorsqu'il revient à Nîmes, peu avant que ne soit déclarée la révocation de l'Édit (de Nantes), il révèle aux membres du consistoire son abjuration et est assez persuasif pour entraîner à sa suite plus de quatre mille huguenots. Il se réjouit d'autant plus de cet événement que les conversions sont reçues dans la cathédrale de Nîmes, entre les mains de Mgr Séguier et en présence du duc de Noailles et de l'intendant Basville. Moment hautement solennel qui doit emplir SAINT-CÔME d'une joie si grande qu'il dit se sentir comme lavé de l'hérésie qu'il avait reçue en héritage.

Au début de l'année 1702, le comte de Broglie le charge « de l'inspection des paroisses qui sont depuis Beaucaire, Saint-Gilles et Aigues-Mortes jusqu'au grand Chemin de Nîmes à Montpellier ». Entre-temps, il avait obtenu une pension royale de 2 000 livres.

Le Grand Temple de Nîmes et l'intérieurLe Grand Temple de Nîmes et l'intérieur

Le Grand Temple de Nîmes et l'intérieur

PENSION, LETTRE, MÉMOIRE

Pension

C'est d'ailleurs, à propos de cette pension qu'il aimerait voir continuée, qu'il fait parvenir à l'intendant du Languedoc une lettre et un mémoire où il dresse le bilan, satisfaisant à ses yeux, de ses états de service et qui nous en apprennent davantage sur la vie de SAINT-CÔME (M. de Calvière). Les voici : ils sont datés du 29 janvier 1699 et écrits à Saint-Gilles où, vraisemblablement, il était en tournée d'inspection. La lettre est adressée à l’intendant du Languedoc Nicolas LAMOIGNON de BASVILLE ; le mémoire, lui, cherche à atteindre Balthazar  PHÉLYPEAUX marquis de Châteauneuf, secrétaire d'Etat.

La lettre

« Monseigneur,

J'ai reçu la lettre qu'il vous a plu m'écrire, Monseigneur, du 14 de ce mois ; je vous suis sensiblement obligé de la continuation de vos bontés et de l'honneur de votre protection que vous voulez bien m'accorder. Vous me faites la grâce, Monseigneur, de m'y apprendre que des personnes mal intentionnées pour moi ont voulu vous faire savoir au sujet de ma femme.

Cette matière, Monseigneur, me donne l'occasion de vous faire un détail de ma conduite dans un mémoire ci-joint pour que vous y voyiez que je ne suis pas indigne de vos bontés et des grâces que le roi me fait. Toutes les femmes, Monseigneur, ne sont pas si douces que Madame Chardon* et, en Languedoc, les maris persuadent moins qu'à Paris et, comme elle me fait la grâce d'être de mes amies, elle m'a peut-être obligation d'une partie de ses bons sentiments que j'ai pris soin de lui inspirer par les conversations que nous avons eues ensemble.
Cependant, Monseigneur, je vous prie d'être persuadé que je ne néglige rien pour l'instruction de ma femme et de ma famille, comme vous verrez par un mémoire que je vous supplie de lire. Je le fais, Monseigneur, par un esprit de religion ; le monde ni ma pension n 'y ont aucune part et je l'ai toujours regardée comme une gratification que Sa Majesté a bien voulu accorder à mes services et que vous voulez bien me faire continuer et quand il plaira au roi de me l'ôter, je vous assure, Monseigneur, que mes sentiments ne s'affaibliront pas et que je ferai toujours mon devoir de bon catholique et que je le ferai faire à ma famille.

Vous pouvez, Monseigneur, être sûr de ce que j'ai l'honneur de vous dire que personne ne vous honore plus que moi par l'attachement et le respect avec lequel je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
                              Saint-Côme. A Saint-Gilles, le 29 janvier 1699 ».

* La lettre et le mémoire cités par la baronne de Charnisay se trouvent aux Archives nationales sous la cote TT 451 XXIII.

Lamoignon de Basville  -  Balthazar  PHÉLYPEAUXLamoignon de Basville  -  Balthazar  PHÉLYPEAUX

Lamoignon de Basville - Balthazar  PHÉLYPEAUX

Saint-Côme en mission

A relire le mémoire, on voit que M. de SAINT-CÔME a tout pour être satisfait et ses états de service prêchent pour lui: « dans son département de vingt bourgs et villages », il ne s'est jamais tenu d'assemblée et les nouveaux convertis ont le comportement souhaité. Peut-être, mais nous sommes en 1699 et les temps ne vont pas tarder à changer.

En novembre de l'année 1701, un jeune garçon d'Uchaud, qui prophétisait, fut surpris, flagellé sur la place de son village et condamné aux galères. Près de Vauvert, au début de l'année 1702, une assemblée se tint dans le bois de Candiac. Il y vint beaucoup de monde de tous les villages environnants. Arrivés peu après la dispersion et, pour une fois, mal renseignés, les miliciens de SAINT-CÔME ne trouvèrent que quatre ou cinq filles qui regagnaient leur maison.  Le 12 mars, l'assemblée qui eut lieu dans les garrigues de Vauvert fut bel et bien surprise. Cinquante personnes, tant hommes que femmes, furent capturées. SAINT-CÔME informa aussitôt Basville de ce coup de filet, lequel répondit qu'il fallait punir sévèrement : quatorze hommes furent condamnés aux galères et trois femmes furent flagellées en place publique à Beauvoisin où elles résidaient. Quant au prédicant, saisi lui aussi, un certain Marc Petit, il fut condamné à être pendu devant l'église de Vauvert. L'exécution eut lieu le 3 juin, veille de la Pentecôte. Quelques jours plus tard, ce fut Saint-Gilles qui, à son tour, vit arriver les miliciens pour débusquer les participants à une assemblée sur lesquels ils n'hésitèrent pas à tirer tuant et blessant un grand nombre de gens. Enfin, pour prévenir toute rébellion armée, SAINT-CÔME décida de désarmer la population de nouveaux convertis de cette Petite Camargue dont il était responsable. En effet, ces humbles habitants disposaient d'armes à feu pour la chasse au gibier d'eau, activité qui comptait beaucoup pour eux car elle leur permettait de vendre aux tables catholiques des oiseaux des marais, nourris de crustacés et de poissons. Nous étions le 30 juillet et SAINT-CÔME avait envoyé douze soldats et miliciens parcourir les mas des Costières à la recherche des armes, sous la conduite du lieutenant Savonet.                                                              

VIE ET MORT DE GASPARD DE CALVIERE,  BARON DE SAINT-COME VIE ET MORT DE GASPARD DE CALVIERE,  BARON DE SAINT-COME

MORT DE M. de SAINT-CÔME

La dernière tournée d'inspection de M. de Saint-Côme

C'était donc pour continuer ses tournées que M. de SAINT-CÔME s'était mis en route le samedi 12 août 1702. « Il avait accoutumé de les faire fréquemment tant de ce côté que de celui de Beauvoisin pour, par sa présence, animer les capitaines et les soldats de bourgeoisie qui étaient sous son inspection et les obliger à veiller  de nuit et de jour, sur les assemblées illicites et les prédications prohibées [ ... ] et dissiper certaines sectes de personnes fanatiques qui, sous le prétexte de la pensée ridicule d'être doué du don de prophéties, fomentaient ces assemblées et troublaient le repos des sujets du roi dans cette province ».

Samedi matin donc, M. de SAINT-CÔME part en chaise roulante, tirée par deux chevaux attelés. Il doit se rendre à Marsillargues, mais aucun document ne nous donne le lieu de son hébergement, sans doute le château de M. de Calvisson. Avant de partir, il demande à Louis Désautrat, un ancien valet, âgé de quarante-cinq ans, de venir le retrouver le lendemain dimanche, avec un cheval, au Cailar où lui-même doit se rendre aux aurores. Ils échangent leurs saluts et comme SAINT-CÔME désire « ouyr messe » à l'église du lieu, ils s'empressent de l'ac­compagner. La messe dite, le sieur Chapel veut « l'arrester pour disner ». Mais SAINT-CÔME refuse : il est attendu à Vauvert, au château, chez le baron d' Autheville.  

Les châteaux de Calvisson (ruine) et de VauvertLes châteaux de Calvisson (ruine) et de Vauvert

Les châteaux de Calvisson (ruine) et de Vauvert

Entre trois et quatre heures de l'après-midi, l'équipage se remet en route, quitte Vauvert et prend la direction de Candiac. Désautrat nous apprend que son maître lui demande d'aller avertir le « rentier » (fermier) du seigneur de Candiac, un certain David Giberne pour qu'il vienne le trouver au moulin, près du pont sur le Vistre. Il a besoin de lui parler. Que se dirent-ils? Nul ne le sait et surtout pas Désautrat, qui, discret comme tout serviteur, n'en est pas moins attentif à ce qui se passe autour de ce lieu: six jeunes gens qu'on lui avait précédemment signalés dans le cabaret de Joseph Armand, s'arrêtent et s'assoient au bout du chemin du seigneur de Candiac, à cinquante pas environ des deux hommes en discussion; un peu plus tard, deux autres hommes les rejoignent. Désautrat remarque leur jeu­nesse. Tous de vingt à vingt-cinq ans. L'un d'entre eux porte un justau­corps brun, les autres sont en corps de chemise.

Le moulin de Vauvert - Chemin pris par Gaspard de Calvière, suivi de ses assassinsLe moulin de Vauvert - Chemin pris par Gaspard de Calvière, suivi de ses assassins

Le moulin de Vauvert - Chemin pris par Gaspard de Calvière, suivi de ses assassins

L'assassinat

Quand l'équipage arrive à côté d'« une olivette qu'on dit estre à la Dame de Vestric », le cocher annonce à Désautrat qu'il voit venir beau­coup de monde derrière eux. Aussitôt Désautrat tourne la tête et reconnaît les huit hommes qu'il a déjà vus près du moulin de Candiac; le cocher a la même pensée, oui, ce sont bien les mêmes hommes. Désautrat suggère alors qu'ils doivent venir de  «faire de rau­set » (couper des roseaux). SAINT-CÔME, ayant entendu l'échange de paroles entre ses valets, intervient et leur demande si ces jeunes gens sont armés. « Non, répon­dent-ils en chœur, ils n'ont que des bâtons! » Cependant SAINT-CÔME, prévoyant, exige, pour amorcer ses pistolets, sa poire que le cocher lui lance, puis fait part de son désir de s'arrêter car il voulait « faire de l'eau ». Blancheton immobilise donc les chevaux. SAINT-CÔME sort de la chaise, se soulage tranquillement tandis que sept des hommes arrivent et saluent Désautrat par son nom. Le huitième est resté près du chemin de Montpellier et, tout en faisant semblant d'uriner, regarde de côté et d'autre. Quatre d'entre eux s'approchent. SAINT-CÔME leur lance: « Où allez-vous mes enfants? ». Pas de réponse. Mais un mouvement violent: un des hommes se jette sur le baron, le prend au collet et Désautrat croit entendre: « Tu es ici, voleur! », tandis que Blancheton rapporte: « Te voici, bougre! ». Aussitôt les trois autres viennent prêter main-forte au premier attaquant pendant que Désautrat couche en joue, puis hésite, ayant peur d'atteindre son maître, tire enfin, mais est aussitôt saisi par les quatre autres, restés en arrière qui le jettent à terre et déchirent son jus­taucorps. Il se débat, veut porter secours à SAINT-CÔME, mais l'un des hommes le mord violemment à l'index de la main gauche et un autre, ayant saisi son fusil, lui assène un tel coup sur la tête qu'il lui fend le crâne et lui déchire le chapeau, le laissant pour mort sur le sol. Pendant ce temps, Blancheton, de son côté, était descendu de cheval, avait pris un des pistolets qui étaient dans la chaise, avait tiré sur un des trois assaillants, puis avait saisi le fusil qui était aussi dans la chaise, tiré encore une fois, jeté le fusil qu'un des hommes avait ramassé et finale­ment avait pris la fuite, poursuivi par l'homme armé qui ne put le rattra­per.

Désautrat, resté seul, sort de son « estourdissement » et voit que les hommes assomment son maître non seulement avec la crosse du fusil pris à Blancheton, mais avec les bâtons dont ils étaient armés. Il veut secourir son maître, mais retombe à terre. Il a cependant le temps de voir que l'un des quatre hommes prend les pistolets dans la chai­se, recule de deux ou trois pas et lâche le tir sur son maître qui cesse alors de remuer. Le danger, pour lui, est tel qu'il fait « comme s'il estait mort » et du coup entend l'échange de paroles: « Est-il réellement mort? Oui ou non ? Il faudrait l'actionner! ». Mais soudain c'est un coup de pis­tolet, tiré à dix pas, dans sa direction, et qui, Dieu merci, ne l'atteint pas. Il peut alors se rendre compte que ces hommes reprennent le chemin par lequel ils étaient arrivés. Un moment après, les meurtriers s'étant éloi­gnés, emportant avec eux le chapeau de Saint-Côme et ses deux pistolets, il s'approche de son maître. Il a encore les yeux ouverts mais expire aus­sitôt entre ses bras. Resté auprès de lui, il attend une heure et demie les secours. Le cheval de tête avait rompu ses traits et s'était sauvé, l'autre, aveugle, était resté attelé. Les domestiques, arrivés, chargent le corps de SAINT-CÔME dans sa chaise et Désautrat, tant bien que mal, remonte sur son cheval. On dépose le cadavre de M. le baron dans « une pièce qui est à plan pied avec la terrasse devant le château de Boissières ».

L'enquête

Le 14 août, les débuts de l'enquête

Dès le lendemain, ordre est donné de mener l'enquête. Le sieur Dumas, prévôt de la nouvelle compagnie de maréchaussée part pour Uchaud, village proche du lieu de l'assassinat. On interroge les habitants: ils n'ont rien vu si ce n'est que la milice s'est mise aussitôt en campagne. De là, on passe à Boissières. A midi, on est au châ­teau. On découvre le corps meurtri de M. de SAINT-CÔME. Massip, avocat du roi, qui a appris la nouvelle « par bruit commun » est là. Il demande qu'une autopsie soit faite. On évoque plusieurs noms et, finalement, le choix se porte sur Balthazar Roque, docteur en médecine de Calvisson, Antoine Siméon et Jean Rouquette, tous deux maîtres chirurgiens de Calvisson et tous les trois, hommes d'expérience d'une cinquantaine d'an­nées auxquels on adjoint un jeune chirurgien de Bernis, Jean Rameaux. On se transporte ensuite au lieu où se fit l'attaque. On constate que, « au-dessous d'un petit olivier, il y a du sang en deux endroits et que la terre est plus unie qu'ailleurs et les mottes abattues ». C'est donc là que M. de SAINT-CÔME a été tué. 

A la recherche des coupables

Les preuves matérielles dûment établies, il faut trouver les coupables. Inutile d'aller chercher bien loin. On connaissait si bien M. de Saint-Côme et  son zèle, son assiduité, son application toute extraordinaire lui faisaient abandonner ses propres affaires ». Mais il avait des ennemis. C'étaient ceux qu'il traquait et la région en était rem­plie.  L'enquête se dirige aussitôt du côté de Candiac. Les langues se sont déliées et on parle de jeunes gens, de cabaret, et même d'assemblée. En ce dimanche 13 août, on s'est beaucoup déplacé, promené sur les chemins du Cailar à Vauvert, de Vauvert à Candiac. Il faisait chaud. C'était dimanche, un jour chômé et le cabaret de Joseph Armand, à l'enseigne du Rameau Vert, n'a pas désem­pli au point que la jeune servante de dix-sept ans, Marguerite Davin, a eu tant de tables à servir qu'elle n'a pu observer tous les clients. 

Au cabaret

Joseph Armand et sa femme, Jeanne Coursanjeau, âgés tous deux d'une cinquantaine d'années, « font cabaret » à Vauvert, même si lui exerce le métier de cordonnier. Le dimanche 13 août, ils voient rentrer, à midi, huit à neuf jeunes gens qui souhaitent consommer; les uns ne veu­lent que boire, d'autres veulent manger aussi.  Ils s'installent à table. Pendant qu'ils mangent, la cabaretière remarque qu'ils se lèvent souvent et qu'ils vont chercher d'autres jeunes gens au village. Tout en se restaurant, ces jeunes gens bavardent et, de ces échanges, émergent plusieurs fois ces paroles : « Ah ! le beau jour qu'aujourd'hui! ». Le repas dure deux heures environ. Puis ils se lèvent pour s'en aller et l'un d'entre eux « paie l'entier escot » de 29 sols pour quatre pots de vin.

Qui étaient donc ces jeunes gens ?

La cabaretière avait reconnu le fils de Mingaud, le cordonnier, celui de Besson, « hoste » ( aubergiste), les deux fils de la veuve Bouzanquet, un des fils de Davie (ou Devic) dit « l'escloupier » (le sabotier), tous habitants du Cailar, puis le fils de la veuve de Marc Tissot et le nommé Broussanet, berger, de Vauvert. Le huitième, d'après son mari, serait un frère du dénommé Davie, Quant au neuvième, celui qui a payé, elle a entendu dire qu'il était de Codognan. La cabaretière, ayant appris, dans la nuit, que M. de SAINT-CÔME avait été assassiné par huit jeunes gens, confie aus­sitôt à son époux ses soupçons. Pour avoir fait un coup pareil, ce pourrait bien être ceux qui avaient « gousté » chez eux ! Et le lendemain, voulant sans doute décharger sa conscience, elle fait part de ses présomptions au secondaire de Vauvert.

Les huit jeunes gens

Reprenons le témoignage de Pierre Mathieu. Ceux qu'il a vus se mettre à courir vers Candiac, après l'exhortation de Pierre Bouzanquet, ne sont pas exactement les mêmes que ceux que la cabaretière avait servis. Et pourtant nous avons le même nombre de huit, comme du reste celui qu'avait noté Désautrat, témoin privilégié de l'assassinat. Cette concor­dance semble a priori séduisante mais elle ne peut, hélas, nous satisfaire car, si seuls quatre noms sont communs aux deux témoignages, à savoir les deux Bouzanquet, Davie l'aîné et Mingaud, il demeure beaucoup de doutes sur l'identité des quatre autres. Or, Mathieu, comme aussi Peyronnet, parle de deux ou trois inconnus, pourquoi  insistent-ils pour dire que les deux Bouzanquet étaient là en cet endroit même. Certes le château et le cabaret ne doivent être éloignés que de quelques pas. Les deux Bouzanquet auraient-ils espé­ré, dans les allées et venues autour du château, obtenir quelques informa­tions sur les projets de déplacements de Saint-Côme qui pouvait aussi bien continuer ses tournées d'inspection en direction de Saint-Gilles. Avaient­ ils des intelligences dans la domesticité du château dont ils attendaient des informations sur l'heure à laquelle le baron allait sortir et sur le trajet qu'il allait emprunter. Et envisageaient-ils d'avoir assez de temps pour « fana­tiser » avant de passer à l'acte et susciter suffisamment d'émotion pour entraîner une troupe de jeunes gens convaincus de l'urgence mais restés sur la réserve?

Les « inconnus »

Toutes ces questions, à ce moment de notre récit, nous viennent à l'esprit sans que nous puissions leur apporter une réponse ferme.  

Lors d'une confrontation entre Pierre Bouzanquet, qui sera arrêté le 24 août et sur le sort de qui nous reviendrons, et le valet Désautrat, ce der­nier croit reconnaître en Pierre Bouzanquet celui qui lui aurait ôté le fusil. « Impossible, s'écrie l'accusé, ce ne peut être qu'un nommé Jacques de Marguerit qui se dit de Bezouce », Et le voilà qui se met à dérouler une liste de noms. Il ne les connaît pas, ces gens-là, mais il en a ouï parler. Outre celui pour qui on le prend, il y a « Charles Audemard de Boissières, Pierre Mérinhargues de Montaren, Isaac Sou lié d'Uzès, Jacques Granier d'Anduze et un autre dont il ne sait pas bien le nom» mais qui tous « avaient résolu de mettre le feu au château de Saint-Côme, ce qu'il leur a entendu dire. Il les a vus dans la ville (Nîmes ou Vauvert ?) étant de mauvais garnements qui avaient voulu l'obliger à sortir du royaume avec eux ». Il ajoute que « par la peinture que fait Désautrat dans sa déposi­tion, ce peuvent être ceux qu'il a nommés qui ont rapport à cette peintu­re ». De plus, au cours de l'interrogatoire du 28 août, Bouzanquet avoue­ra même qu'il les a rencontrés sur le chemin de Montpellier mais ne pré­cisera pas l'endroit exact ni le moment et n'en dira pas plus.

Que penser de ces révélations tardives? D'abord il est clair que, vu l'origine géographique de ces hommes-là, il y a toute chance que nos jeunes Cailarens et Vauverdois ne les connaissent pas, ensuite que le pro­jet de ces amis de rencontre est révélateur de l'état d'esprit d'une jeunes­ si accablée par la pression policière de Saint-Côme, enfin que, vrais ou faux complices, Pierre Bouzanquet essaie de leur faire porter sinon tout, du moins une partie de la culpabilité. Mais ce sera en vain, les juges ne prendront pas cette piste suggérée.

Les accusés

Reste que, dans cette affaire criminelle, dont on ne pourra jamais dénouer tous les fils et pour laquelle les témoignages sont à prendre avec d'infinies précautions, même lorsqu'ils se recoupent car leurs auteurs ont la mémoire troublée par la peur, la douleur, voire la rage, trois hommes seront déclarés coupables et condamnés: Pierre Bouzanquet, à mort, Paul Aumède et Jean Broussan, à ramer sur les galères du roi. Comment en est­ on arrivé là ?

Les acquittés

Si quelques-uns ont échappé au coup de filet et non des moindres, comme Jacques Bouzanquet, le cadet, et Pierre Davie, l'aîné, pour avoir été, momentanément, hébergés dans les « tubaneaux » de la « méthérie de Capète », d'autres, dès le lendemain, 14 août, ont été « arrêtés prison­niers » et jetés dans « les prisons du château de Nîmes » : Marc Tissot, Sylvestre Besson, Fulcrand Davie, le cadet, David Giberne, le fermier de Candiac et ses deux valets, Moïse Bernard de Beauvoisin et Jean Colombet du Dauphiné. Heureusement pour eux, ils seront élargis quelques semaines plus tard.

Les condamnés

Les galériens

Paul Aumède n'aura pas la même chance.  Essayons  de savoir de quoi fut faite, pour lui, la journée du 13 août. Paul est le fils de Marie Vercusse, veuve de Jean Aumède, a vingt­ trois ans. Il est nouveau converti et « travaille à la terre en certaines sai­sons, foule les blés avec son bétail et chasse quand il ne peut travailler, mais c'est à la chasse d'eau ».

Le jeudi 17 août, au matin, on vient lui dire qu'il est compté au nombre des assassins de Saint-Côme. Il quitte aussitôt sa maison et « en attendant de pouvoir se justifier, il se retire du lieu du Cailar et est arrêté prisonnier à la Cabane de Beauviel (ou Bois Vieux) du côté des marées [sic] de Mauguio avec Jean le gardien (ou gardian) du Sr Maurin ». 

Beaucoup trop d'éléments auront joué contre Paul Aumède : sa fuite du Cailar, même si, à un moment, il prétend être allé à la cabane, à Mauguio, « pour y voir une jeune cavale qu'il a sur les herbages », les aveux tardifs de sa présence à l'assemblée, son justaucorps couleur café qu'il a porté tout le jour et que les témoins confrontés ont reconnu, sa qualité de nouveau converti et, sans doute aussi, son activité de chasseur, complémentaire de celle de fouleur de blé et de travailleur de terre. Etait­ il de ceux à qui Saint-Côme avait fait confisquer les armes à feu.

Le 23 septembre, son sort est scellé, et, avec lui, celui de Jean Broussan.   

Qui est Jean Broussan, l'autre condamné? Agé de trente-huit à trente-neuf ans, Jean Broussan, dit Broussanet, est habitant de Vauvert, nouveau converti et berger. Doit-il son surnom à ce vieil usage occitan qui permet de distinguer le fils du père, ou à sa peti­te taille, ou encore à la simplicité de son esprit? Dans la nuit du 14 au 15 août, « étant couché au parc (à moutons), il fut capturé par Tempié, régent de justice, accompagné de quelques soldats, ne sachant pas la cause de sa capture ». Il reconnaît volontiers que le dimanche 13, vers midi, il est entré au cabaret mais soutient n'y avoir reconnu que Jean Boudon, qui, le soir de ce même jour, l'a raccompagné au parc avant de rentrer au Cailar.  

Jean Broussan, dit Broussanet, sera condamné aux galères « pour avoir assisté à une assemblée de fanatiques ».

Condamnation des protestants aux galères  -  Plaque à la mémoires des galériens, près de la Tour Constance à Aigue mortesCondamnation des protestants aux galères  -  Plaque à la mémoires des galériens, près de la Tour Constance à Aigue mortesCondamnation des protestants aux galères  -  Plaque à la mémoires des galériens, près de la Tour Constance à Aigue mortes

Condamnation des protestants aux galères - Plaque à la mémoires des galériens, près de la Tour Constance à Aigue mortes

Le condamné à mort

Ce sera Pierre Bouzanquet. Il ne sera arrêté que le 24 août, à Nîmes, au moulin du sieur Raspal, sur son lieu de travail. Il sera soumis à cinq interrogatoires, le premier, le jour de son arrestation, puis les 26, 28, 29 et enfin le 7 septembre, juste avant son exécution. Il est difficile de connaître son degré de culpabilité dans l'assassinat de SAINT-CÔME car, dans aucun de ses interrogatoires et jusqu'au dernier où il sera soumis à la question ordinaire et extraordinaire, il n'avouera rien, niant toute participation, que ce soit à l'assemblée ou au meurtre, ne dénonçant aucun complice et se contredisant sans cesse sur son emploi du temps de la journée du 13 août.

Pierre Bouzanquet a vingt-quatre ans. Il est originaire du Cailar où vit sa mère, veuve. Il a deux frères: Jacques, le cadet que tout le monde verra à ses côtés le dimanche 13 août et David, qui, deux mois auparavant a été emprisonné à la tour de Constance. Malgré ses contradictions et la fragilité de sa mémoire, nous avons acquis la certitude qu'il était, le dimanche 13 août, bel et bien à Vauvert où sa présence avait été fortement remarquée. 

Désautrat, le valet de SAINT-CÔME, confronté à Pierre Bouzanquet, le 28 août, a des difficultés à reconnaître l'accusé « à cause du trouble où il était ». Cependant « son visage et sa taille lui reviennent ». De plus, il se souvient qu'il fut celui qui lui ôta le fusil. 

.../...

Le fermier David Giberne et son valet Jean Colombet vont apporter un ultime témoignage. Il avoue avoir reconnu Bouzanquet. Il avoue aussi que son valet Colombet lui avait fait part de l'invitation du cadet Bouzanquet à se joindre au groupe qui suivait SAINT-CÔME pour l'assassiner. Son valet avait refusé et pensé à juste titre que ces gens là allaient commettre « une méchanta action » .

La sentence

Le 7 septembre, à deux heures de relevée, préalablement soumis à la question ordinaire et extraordinaire et après avoir entendu le jugement qui le condamnait à mort, il ne pu s'empêcher de crier : « Vous me tourmentez bien, mon Père Éternel », ou bien « Mon cher Père Céleste, faites-moi mourir... »

 

Sources :

- Extrait de la conférence de Madame Anny Herrmann, de l’académie de Nîmes,  à Boissières, à l’invitation de l’Association Sauvegarde Patrimoine Boissières.
- La lettre et le mémoire cités par la baronne de Charnisay se trouvent aux Archives nationales sous la cote TT 451 XXIII.
- La Vaunage au XVIIIe siècle Tome II

 

                                                                 Relecture :  Herveline Vinchon

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M
Un très beau et très documenté article !
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