Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage

APROMICAV CALVISSON

PATRICIA CARLIER - LE SEL DE LA BAIE D'AIGUES-MORTES (2021) - PARTIE 1 (Chapitres 1 et 2)

ÉDITO

Suite à la conférence donnée le 8 avril 2022 par Madame Patricia Carlier sur l'histoire du sel, cette dernière nous a gentiment donné l'autorisation de reproduire sur le blog de l'APROMICAV son ouvrage Le sel de la baie d'Aigues-Mortes, un enjeu royal au XIIIe siècle. Aux images fournies par l'auteur, ont été ajoutés quelques visuels supplémentaires.

Sommaire

Nous avons découpé le livre en quatre parties comprenant les chapitres suivants :
Partie 1ÉditoChap.1 La baie d'Aigues-Mortes, un potentiel naturel • Chap.2 Le sel avant Louis XI
Partie 2Chap.3 Le développement du salin de Peccais, un enjeu royal • Chap.4 Les chemins du sel
Partie 3Chap.5 Administration royale, gabelle et répression des fraudes
Partie 4Chap.6 Du 18e siècle à la Révolution • Chap.7 De 1789 à aujourd'hui

 

CONFÉRENCE DE MADAME PATRICIA CARLIER DONNÉE À CALVISSON LE 8 AVRIL 2022

CONFÉRENCE DE MADAME PATRICIA CARLIER DONNÉE À CALVISSON LE 8 AVRIL 2022

LA BAIE D'AIGUES-MORTES, UN POTENTIEL NATUREL

Jusqu'au début du 20e siècle, le sel était un produit vital. Celui qui en possédait, avait le pouvoir sur les hommes, sur la conservation de la nourriture, le mot « salaire » est tiré du mot sel car il servait de monnaie d'échange, bien avant l'or et l'argent. Les pays dotés d'un front de mer ou de mines de sel sont devenus des nations riches et indépendantes.

En France, les régions côtières de la Méditerranée ont bénéficié de cette richesse locale dès l'époque gauloise. La dynastie des Capet s'appuya sur le sel pour construire la richesse de la Nation, inventant une fiscalité spécifique et des chemins obligatoires lourdement taxés. La petite histoire de la baie d'Aigues-Mortes est ainsi devenue actrice de la grande histoire du royaume.

Située entre le Petit Rhône et le Vidourle, la baie d'Aigues-Mortes s’est lentement structurée à partir des vallées du Vistre et du Rhôny qui irriguent la plaine de Nîmes et la Vaunage. Des ports existent dès la protohistoire. Port Vielh sur le Vistre dès le 7e siècle avant JC, puis Le Cailar, créé à leur confluent, dès le 6e siècle av. JC, Espeyran (Saint-Gilles) et Lattes aux extrémités de la baie. Ils alimentent les villages intérieurs de ce qui deviendra le pagus nemausis, la cité des Volques décrite par Strabon au 1er siècle av. JC. Il précise que les étangs sont reliés à la Méditerranée par les graus et permettent un transport intérieur de denrées, sur des barques à faible tirant d'eau. Elles sont ainsi protégées des pirates de haute mer de Narbonne au delta du Rhône.

LA FRANCE CAROLINGIENNE ET LES PREMIERS CAPÉTIENS EN 987

LA FRANCE CAROLINGIENNE ET LES PREMIERS CAPÉTIENS EN 987

LA SITUATION DES PORTS DE LATTES, DU CAILAR ET D'ESPEYRAN. À DROITE, LA BOUCLE DU RHONY OÙ POUVAIT SE TROUVER LE PORT DU CAILARLA SITUATION DES PORTS DE LATTES, DU CAILAR ET D'ESPEYRAN. À DROITE, LA BOUCLE DU RHONY OÙ POUVAIT SE TROUVER LE PORT DU CAILAR

LA SITUATION DES PORTS DE LATTES, DU CAILAR ET D'ESPEYRAN. À DROITE, LA BOUCLE DU RHONY OÙ POUVAIT SE TROUVER LE PORT DU CAILAR

La baie fut un territoire de civilisations et d'échanges précoces qui commerça avec les Étrusques, les Grecs, puis les Massaliotes (Grecs de Marseille) avant d'être aménagée par les Romains. Le littoral s'arrête alors au niveau du Cailar, l'actuelle configuration de la baie n'existe pas encore. En perpétuel mouvement, elle a développé au fil du temps des cordons littoraux successifs, une zone lagunaire, manne piscicole et giboyeuse propice à l'exploitation par l'homme. L'aménagement du territoire à l'époque gallo-romaine génère routes et ponts. La via Domitia, les ponts d'Ambrussum, de Sommières, de Boisseron et de Nages en sont encore les témoins locaux. Deux îles se forment au milieu des étangs, qui vont devenir, dès la période carolingienne, les sièges des deux premières abbayes propriétaires de pêcheries : Maguelone, au milieu d'un grand étang qui s'étend du Vidourle à Agde appelé stagna Lattara et Psalmodi à l'embouchure du Vistre dans une lagune réunissant à l'époque les actuels étangs du Charnier et du Scamandre. Protégées par les marais, ces abbayes entament une longue période de prospérité commerciale.

LE PORT DE VIELH SUR LE VISTRE ET LES ÉTANGS DU CHARNIER ET DU SCAMANDRE AU NORD D'AIGUES-MORTESLE PORT DE VIELH SUR LE VISTRE ET LES ÉTANGS DU CHARNIER ET DU SCAMANDRE AU NORD D'AIGUES-MORTES

LE PORT DE VIELH SUR LE VISTRE ET LES ÉTANGS DU CHARNIER ET DU SCAMANDRE AU NORD D'AIGUES-MORTES

Le morcellement de l'Empire carolingien à l'orée du 9e siècle apporte le dernier élément déterminant du destin futur de la baie. Le Comté de Toulouse échoit à La Francie*, alors que la Provence, d'abord lotharingienne, est rattachée au Saint-Empire romain germanique en 1033. Le bras du Rhône dit « de Saint-Roman » devient frontière impériale qui est encore aujourd'hui la limite entre les régions PACA et Occitanie.
Nihil est utilius sale et sole. Cette phrase de Pline exprime parfaitement le sentiment des nouveaux pouvoirs locaux, laïcs comme ecclésiastiques, partis à la conquête des lagunes de chaque côté du Rhône, pour exploiter salins et pêcheries en Languedoc comme en Provence. Grâce à une lente évolution depuis l'Antiquité, la baie d'Aigues-Mortes présente alors l'avantage naturel d'une planimétrie idéale et un climat méditerranéen apportant un ensoleillement majeur. Cependant, les besoins sont pourvus par les salins existants et la situation politique locale n'est pas favorable à l'implantation de salins à Peccais, les aménagements à prévoir sont lourds en investissements et l'abbé de Psalmodi, propriétaire du marais de l'Aïgon Mour, n’a à Peccais que deux petits salins à très faible rendement et se fournit ailleurs pour ses pêcheries. Le rattachement du Comté de Toulouse au royaume de France au 13e siècle va permettre au roi la création d'un port français sur la Méditerranée et le développement de I'industrie du sel à Aigues-Mortes.

* La Francie occidentale (en latin : Francia occidentalis) est le royaume que reçut le Carolingien Charles le Chauve lors du partage de Verdun, en 843.

1032 - NAISSANCE DU ROYAUME DE FRANCE ET CRÉATION DU SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

1032 - NAISSANCE DU ROYAUME DE FRANCE ET CRÉATION DU SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

Cette longue histoire a laissé des édifices protégés au titre des Monuments historiques : les tours et remparts d'Aigues-Mortes, Notre-Dame des Sablons, la tour Carbonnière, le fort de Peccais, l'abbaye de Psalmodi, le vieux phare du Grau-du-Roi. Des labels visant à la protection environnementale, paysagère, et patrimoniale de la baie, sont venus compléter ces protections, les labels « Site remarquable du Goût » en 2011 et « Grand site d'Occitanie » en 2018.

LA FRANCE EN 1180

LA FRANCE EN 1180

LE SEL AVANT LOUIS XI

Les premières archives nous renseignent dès le 12e siècle sur les acteurs locaux et l'économie du sel. Elle est principalement liée aux pêcheries, grosses consommatrices pour les salaisons de poissons, spécialité locale d'exportation. Mais le sel sert également aux salaisons de viandes sur place. Les moutons très nombreux s'en nourrissent et les tanneries s'en servent à Sommières.

L'Empire (actuelle Provence) et le comté de Toulouse en Francie occidentale ont chacun leurs salins avec une administration différente. Les salins provençaux s'étalent sur les lagunes entre Arles et Fos. Les salins languedociens s'échelonnent sur les étangs, de Narbonne à Mauguio. Dix salins fonctionnent sur la rive nord de l'étang de Mauguio qui va jusqu'à Vic et Agde à l'époque.

Les abbayes de Psalmodi et Maguelone se développent dans leurs îles, elles ont rebâti des églises plus grandes à l'époque romane. Un nouveau réseau s'était mis en place au sud de la via Domitia, profitant de l'existence préalable du canal de la Radelle, appelé fossa gotica et de la robine de Lunel dès l'époque carolingienne, pour capter dès le 12e siècle le sel du Languedoc par un chemin longeant, au Nord les étangs depuis Narbonne jusqu'à Lunel (camin salinié), et permettre son transport jusqu'au Rhône par voie d'eau (les capoulières) à travers les étangs.

LA FRANCE EN 1270

LA FRANCE EN 1270

L'abbaye de Psalmodi a elle-même un port sur la Robine de Lunel, à l'arrivée du sel et au milieu de ses pêcheries. Le comte de Provence lui accorde le privilège de 15 muids de son sel car il a créé la gabelle sur le trafic du sel en Provence dès le 12e siècle et de nombreux péages existent sur la remontée du Rhône de son côté.

Les seigneurs locaux savent que la maitrise du réseau routier est stratégique. Les ports intérieurs gèrent un important trafic dont celui du sel. À L'ouest de la baie, les Gaucelm de Lunel verrouillent l'accès aux étangs et aux canaux, au Nord, les Bermond de Sauve contrôlent le carrefour d'importantes routes de commerce, à Sommières dont ils sont propriétaires, à l'Est, les seigneurs d'Uzès sont à Aimargues et Le Cailar d'où l'on va vers l'Empire via Vauvert et Saint-Gilles. Psalmodi a beau arguer de ses privilèges accordés par l'Empereur Louis le Pieux en 815, confirmés par ses successeurs et les comtes de Provence, depuis le partage carolingien de 1033, l'Empire est un territoire étranger commençant de l'autre côté du Rhône de Saint-Roman devenu frontière internationale. Ces privilèges n'ont plus de valeur dans le comté de Toulouse, intégré à la Francie. L'abbé possède de nombreux biens, moulins, pêcheries, sur la commune actuelle de Marsillargues, que le seigneur de Lunel rachète progressivement. Car des trois acteurs laïcs en présence, le seigneur de Lunel est de loin le mieux placé en ce qui concerne la gestion du chemin du sel existant, le sort de Sommières et d’Aimargues étant lié à l'arrivée du sel languedocien en ses cabanes, sises sur la roubine de Lunel, futur canal de Lunel, alimentée à l'époque par le Dardailhon.

BAIE D'AIGUES-MORTES EN 1270

BAIE D'AIGUES-MORTES EN 1270

CABANES DE LA ROUBINE DE LUNELCABANES DE LA ROUBINE DE LUNEL

CABANES DE LA ROUBINE DE LUNEL

Le nouveau castrum de Lunel; dans l'actuel centre ancien, existe au 12e siècle au sud de Lunel-vieil, créé par les seigneurs au carrefour du camin salinié montant le long des étangs du Languedoc, du chemin de terre partant des cabanes du sel et montant via Sommières, sur Saint-Saturnin-du-Ports (Pont-Saint-Esprit) et des canaux, ancêtres du canal du Rhône à Sète qui, dès cette période, permettent d'aller d'Agde jusqu'au Rhône par les étangs. Le baron Gaucelm possède le péage du canal de la Radelle à l'Estrech, sur ce trajet intérieur mais il perçoit aussi ses taxes locales (leudes) aux cabanes du sel situées sur la robine de Lunel, point d'arrivée du carnin salinié. La fermeture des chemins antiques allant de Lunel-Vieil à Ambrussum est programmée pour obliger le trafic à passer dans la ville nouvelle. La construction du nouveau pont de Lunel à péage est lancée, qui remplacera le pont d'Ambrussum au pied duquel l'abbaye de Psalmodi avait un relais. L'ancien réseau carolingien de Psalmodi est donc peu à peu démantelé. Les seigneurs locaux considèrent les abbayes comme de riches entreprises, les leudes et péages qu'elles peuvent potentiellement leur payer leur rapporteront plus que l'absolution qu'elles peuvent dispenser contre des privilèges. Tout un arsenal d'engins se développe pour augmenter le rendement des pêcheries. Les maniguières sont tendues sur les étangs, le ganguilh, le bouliech font parties des filets soumis aux taxes seigneuriales. Ces filets entravent la navigation sur les capoulières (canaux) et leur emploi est réglementé, Psalmodi qui a de nombreuses concessions de pêcheries dans la baie se fournit donc aussi aux cabanes du sel de Lunel alimentées par des salins appartenant aux seigneurs locaux. Quant à l'évêque de Maguelone, il réglemente les droits de pêche et de chasse au gibier d'eau sur ses étangs. La douane épiscopale se trouve à la cabane de Carnon.

LE CANAL DES ÉTANGS - XIIIe siècle

LE CANAL DES ÉTANGS - XIIIe siècle

Ainsi se présente la carte géopolitique locale à l'arrivée des rois de France. Partout, c'est le droit coutumier qui s'applique, pouvant varier d'un fief à l'autre. D'après André Dupont le commerce du sel par voie terrestre a fait la fortune de Lunel qui fut la ville du sel avant Aigues-Mortes. Par sa structuration précoce sur l’articulation entre le camin salinié et les voies terrestres intérieures montant vers Pont-Saint-Esprit, elle a ouvert le chemin dit « languedocien du sel ».

Les récentes découvertes archéologiques liées aux fouilles menées par Odile Maufras pour l'INRAP, préalables à la création de la LGV, ont permis de retrouver enfin le village médiéval de Saint-Gilles-le-Vieux sur Aimargues, connu par les archives mais longtemps recherché, son église et un vaste cimetière ont été mis au jour au sud du rond-point entre la N113 et la route de la mer. Il a pris de l'essor juste après la fondation du nouveau pont de Lunel. De nombreux silos de stockage de denrées y ont été trouvés, dans ce centre commercial de l'époque.

Lunel est donc une carte maîtresse qu'il faudra contrôler dans le jeu du royaume, pour maîtriser la production du sel dans la baie d'Aigues-Mortes. Cela sera l'affaire de 👉Guillaume de Nogaret, grand juriste local, conseiller des rois d'Aragon à Montpellier, ce qui marquera le début de sa carrière en tant que conseiller royal de Philippe IV le Bel.

PATRICIA CARLIER - LE SEL DE LA BAIE D'AIGUES-MORTES (2021) - PARTIE 1 (Chapitres 1 et 2)

L'issue de la guerre des albigeois (1209) sonne le glas de l'indépendance locale. L’expansion capétienne est en marche. Blanche de Castille, mère de Louis IX, est la petite-fille d'Aliénor d'Aquitaine, reine de France puis d'Angleterre, grand-mère qu'elle a connue et dont elle a reçu les conseils précieux en matière de diplomatie internationale. Elle fut la première femme régente officielle de France. Elle développe au début du 13e siècle une stratégie politique visant à l'implantation durable du royaume en Languedoc. Elle a pris le soin de marier le futur Roi Louis IX et deux autres de ses fils, Alphonse de Poitiers et Charles d'Anjou aux trois héritières uniques des comtés de Toulouse et de Provence. Le voisinage impérial de la baie outre-Rhône étant ainsi maîtrisé, le royaume peut s'attaquer à son implantation administrative en Languedoc dont Alphonse de Poitiers est le nouvel administrateur et à la construction d'Aigues-Mortes. Dès 1220, une tête de pont royale est implantée au château de Sommières, où s'installe le premier sénéchal de la région. Le droit royal s'impose sur la coutume non sans heurts. Vigueries, baillages et prévôtés sont créés dans un comté promis par le Traité de Paris en 1229 au royaume, L'abbé de Psalmodi, déjà malmené par les taxes lunelloises, vient de lancer la construction d'une église à la mode française (gothique méridional), un gouffre financier. Il se voit proposer par le roi un échange en 1248 : des terres fertiles à Sommières permettant de diversifier son activité contre le marais de l'Aigou Mour, pour y créer le port royal.

 

PATRICIA CARLIER - LE SEL DE LA BAIE D'AIGUES-MORTES (2021) - PARTIE 1 (Chapitres 1 et 2)

Partie 1ÉditoChap.1 La baie d'Aigues-Mortes, un potentiel naturel • Chap.2 Le sel avant Louis XI
Partie 2Chap.3 Le développement du salin de Peccais, un enjeu royal • Chap.4 Les chemins du sel
Partie 3Chap.5 Administration royale, gabelle et répression des fraudes
Partie 4Chap.6 Du 18e siècle à la Révolution • Chap.7 De 1789 à aujourd'hui

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