Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage
7 Février 2024
Lorsque l'on se rend de Nîmes à Aigues-Mortes, après le village de Saint Laurent d’Aigouze, la route qui jusqu’à ce point avait montré de riches et riantes campagnes, se déroule ensuite jusqu’ à la ville de SAINT- LOUIS, tantôt sur un terrain aride et sablonneux, tantôt à travers des marais qui ne produisent que de faibles roseaux et qui s’étendent aussi loin que peut se porter le regard; c’est au milieu de cette plaine marécageuse que s’élève un petit monticule, autrefois entouré d’eau de tout côté, et sur lequel on distingue encore adossées aux murs d’une ferme quelques ruines romanes, seuls débris d’une antique et puissante abbaye bénédictine.
Les ruines de Psalmodi consistent en un mur de 27 mètres de longueur sur lequel on distingue trois arceaux séparés par des colonnes demi-cylindriques; un escalier en spirale s’ouvre au pied d'une de ces colonnes ; au-devant gisent quelques énormes blocs de maçonnerie.
D’où vient le nom de Psalmodi ? En premier lieu, que les modernes ont tort d'écrire : Psalmody. Cet i grec n'existe dans aucun document ancien et son intrusion n'est explicable que par une fausse lecture d’un document. Se fondant sur de vieilles traditions verbales.
Mistral écrit : Saumodi. Le placet de demande de sécularisation de François 1er au pape Paul III (1537) dit : « Saint Maudi ».
Au Ve siècle la Gaule était sous l'influence de trois chefs spirituels dont aucun n'habitait à Psalmodi : saint Jérôme à Bethléem, saint Augustin à Hippone et saint Paulin à Noie ..(?) Ce dernier était d'origine gauloise. En Occident, quiconque voulait discuter, méditer et travailler à un ouvrage de l'esprit suivi et solide n'avait pas d'autre possibilité que d'embrasser l'état monastique. Les abbayes du Midi devinrent autant d'écoles philosophiques et théologiques où l'on agita, sous la forme du Libre arbitre, de la prédestination et de la grâce, des problèmes profonds encore actuels au XXIe siècle et même des idées nouvelles, des hardiesses, d'éternelles hérésies. Il semble que l'abbaye fut fondée au début du Ve siècle par une colonie de moines de la célèbre abbaye de Saint-Victor de Marseille qui le placèrent sous l’invocation de l’apôtre saint Pierre et des martyrs saint Julien, saint Félix, etc...
Les moines vivaient dans ce désert depuis trois siècles, lorsque l’invasion sarrasine vint menacer et bientôt après ruiner leur solitude, vers l’an 720 ou 725.
Plusieurs des pieux cénobites tombèrent sous les coups des barbares ; les autres furent dispersés. Quelques-uns d’entr’eux se réunirent quelques années plus tard dans un lieu peu distant de leur ancien monastère, aux environs de Lunel ; ce lieu se nommait Cornilianicum, aujourd’hui Corneillan, près de l’étang de Mauguio (canton de Lunel). Ils étaient dans ce lieu lorsque le prêtre Elderedus leur donna, par acte du 17 janvier 789, dans le territoire d’Aigues-Mortes, l’église de Ste-Marie de Dassargues qu’il avait bâtie et dotée de terres et de vignes ; il la desservait lui-même et s’en réserva l’usufruit sa vie durant. C’est à Cornilianicum qu’une grande protection, celle même de Charlemagne, vint trouver les moines et les aider à rentrer dans leur ancienne demeure, en la relevant du pitoyable étal où l’avaient réduite les ravages des infidèles.
La soif des souffrances, vestige humanisé du Baptême de Sang des martyrs, devait faire le fond de cette existence en commun. Il fallait expier ses péchés et ceux d'autrui. D'où la confession publique et les pénitences très rigoureuses allant jusqu'à la flagellation, au jeûne forcé, à la réclusion cellulaire ...
L'alimentation devait être simple et plutôt végétarienne et fructivore. La boisson consistait sans doute en cette espèce de vin, moûts ou piquettes sucrés.
Les vêtements étaient fort simples, une tunique blanche, qui deviendra noire par la suite, était recouverte d'un scapulaire noir, habit ordinaire des serfs et des paysans. Sur la poitrine, les moines portaient la « coule» (cucullus) ample capuchon que les mondains eux-mêmes adoptèrent jusqu'au XVe siècle. La nuit, les religieux couchaient vêtus et chaussés, en protestation contre la coutume courante dans le haut Moyen-Age de dormir sans vêtement.
Théodulfe, évêque d’Orléans, dit que : « Charlemagne, trouvant mauvais qu'une communauté si florissante fut logée sous du chaume, autorisa pour elle et pour d'autres l'emploi des ruines romaines de la région nîmoise ».
Un faux diplôme datant de 791 fait allusion à un prétendu neveu de Charlemagne, le jeune Théodomir. « Ce neveu », que cherchait à cacher le roi des Francs, pourrait bien être un des huit enfants naturels que les chroniqueurs lui reconnaissent. Cela rendrait raison de l'abondance des faveurs impériales sur l'abbaye.
A l'époque Carolingienne, effectivement, les dons affluent en faveur de Psalmodi.
Soucieux de l'indépendance du couvent, Théodomir écrit à Louis le Débonnaire en 816 (778-840 - fils de Charlemagne, appelé aussi Louis Le Pieux), pour lui demander sa protection et reconnaissance du droit d'élection du père Abbé par les moines. Malgré l'évêque de Nimes, le 2 janvier satisfaction lui est donnée en 821 et il voit deux dons nouveaux enrichir la communauté.
Le faux diplôme - Théodomir (prétendu neveu de Charlemagne) - Louis le Pieux (dit aussi « le débonnaire », 3ème fils de Charlemagne.
En juillet 818, l'abbaye est classée parmi celles qui ne doivent fournir ni présents ni soldats (Hoec sunt qui née dona née militiam dare debent, sed solas orationes pro salute imperatoris vêt filiorum eius et stabilitate imperit).
Bernard, duc de Septimanie et comte de Barcelone, s'empare d'une partie des terres. Plainte est aussitôt portée à l'empereur, par l'abbé Théobaldus en juillet 851. Viendra, un peu plus de six ans après, reconnaissance des possessions et privilèges dans les comtés de Nimes et de Maguelonne.
Des droits de pêche et de pâturages y sont ajoutés.
Vers 919 Abdérame III, le fondateur de l'école de médecine de Cordoue, fonce sur le midi de la France. Raimon II, comte de Toulouse lui donne la chasse. Les Sarrasins tombent sur les cent quarante religieux du monastère qui fuient à Cornillac.
Depuis la première irruption musulmane (720-725), les moines avaient entretenu et desservi plusieurs prieurés et chapellenies dans cette portion de territoire située entre Marsillargues et Lunel, qui leur servaient occasionnellement de lieu de refuge.
Le 29 août 993, Guillaume III, futur comte de Toulouse et son épouse, Adalaiz, donnent l'église de St-Damien de Candillargues. Le 4 décembre suivant, Reynoard lègue l'église de St-Bonnet (sancti Boniti) et celle « du lieu de Nempte, sauf une maison ». En 1004, Amic et Belletrude apportent l'église de Valjouine (de valle amata aioc. d'Aix). Dans la même année l'abbé Warnerius (Garnier ?) est chargé par une assemblée épiscopale (Frothaire 1er, de Nîmes ; Aribaldus, d'Uzès) de rétablir, reconstruire et réformer Psalmodi. En 1005, l'abbaye reçoit d'Ariman et de sa femme Folcoare le prieuré de St-Asiscle de Mudaisons (de Mutationibus) au diocèse de Maguelonne,
Psalmodi possédait, depuis l’an 1000, la majeure partie d'un quadrilatère trapézoïdal, comprenant des îlots de pins parasols, de peupliers, des marais asséchés à peine recouverts de joncs et de tamaris. La petite base de ce trapèze était formée par le littoral ; la grande base par la route du pont de Lunel à Saint-Gilles; les deux côtés non parallèles étant marqués, à droite, par le cours inférieur du petit Rhône, et à gauche, par le cours inférieur du Vidourle.
En 1054. Gaucelm de Lunel et Pétronille sa femme, avaient fait des legs, que les rôles de 1171 et de 1271 détaillent. L'abbé y a droit de justice. En 1280, le chapitre de Psalmodi proteste énergiquement contre le seigneur de Lunel, Roscelin qui, sans sa permission, a fait brûler vive une malheureuse sorcière sur le territoire de Saint-Julien.
En 1294, le Sénéchal de Beaucaire rend sentence contre Jacques de Mauvoisin et Estienne de Piel, d'Aigues-Mortes, parce qu'ils se sont permis, sans l'autorisation de l'abbé de Psalmodi, de détacher d'une potence et d'enterrer le cadavre d'un voleur à Saint-Julien. L'abbaye, comme toute seigneurie, devait donc avoir des fourches patibulaires sur le territoire de Saint-Julien.
Le seigneur de Calvisson, Guillaume de Louet , envahit au XVe siècle, le territoire, y fait bâtir plusieurs maisons et installe une garnison dans cette église fortifiée, le Parlement de Toulouse, en 1480, condamne le noble Louet à rendre à l'abbaye les blés et autres fruits qu'il a enlevés, à retirer ses gens d'armes. Mais, les Calvissonnais qui, de tout temps, firent figure d'ardents « anticléricaux », ont la tête dure ; en dépit de la confirmation de Charles VIII, des droits du monastère, ils se font décréter de prise de corps. Mais le pouvoir royal est faible et en 1496, Calvisson se voit reconnaître ce qu'il voulait : « le droit de tenir capitaine, en l'église forteresse de Saint-Julien, dont la garnison sera entretenue aux frais de l'abbaye, pendant que les maisons appartiendront à l'Abbé à charge de payer au baron 300 livres tournois pour dépenses par lui faites; et pour le vivier, l'abbé donnera en compensation, 12 quarterées de terre. »
Territoire de l'abbaye de Psalmodi - Chaise à porteur de Guillaume de Louet (Musée de Marsillargues) - Sceau de l'abbaye
Le prieuré de MARSILLARGUES, appartenait aussi à Psalmodi, il avait été constitué par des dons de particuliers : dame Aldiarde, veuve de Bernard de Bannières; plus tard. Anthoine de Codere et Dieudonné Maurin. Sur ce prieuré, le seigneur-abbé percevait, par exemple, en 1362, la dîme des agneaux.
SAINT·LAURENT D'AIGOUZE est mentionné pour la première fois dans une donation de Raimon Gaucelm et de Pétronille en 1054. A l'époque de la Réforme, les saint-laurentais essayeront bien de secouer le joug de Psalmodi, mais il faudra qu'ils s'inclinent tout aussitôt devant le Chapitre d'Aigues-Mortes héritier des droits de l'Abbaye dissoute.
Enfin la troisième villette appartenant entièrement aux religieux fut AIGUES-MORTES. Charlemagne pour ériger église et cellules et sans doute aussi, contre les pirates de mer, des embryons de remparts que Philippe le Hardi (1342-1404) ne fera qu'améliorer, Ce qui frappe en tout cas, dans l'acte de vente de 1248, c'est la petitesse du prix offert par le roi Louis IX (1214-1270), pour l'achat de la ville.
Au début du XVIIe siècle ce prieuré n'est plus qu'une ferme attribuée par le Parlement de Toulouse au chapitre d'Aigues-Mortes.
Tout autre fut le sort de Saint Bonnet, proche Remoulins au diocèse d'Uzès, qui garda jusqu’à la fin du règne de Louis XIV son organisation monastico-féodale avec ses droits de justice particulière. Nombreuses terres, moulin, véritable petite place forte « dont les consuls doivent apporter chaque soir les clefs à messire Barthélémy Bizec, prieur et seigneur de Saint-Bonnet. Ce sire de Bizac avait les droits de moyenne haute et basse justice jusqu'au crime d'adultère inclusivement « et, ajoute le Parlement de Toulouse, on ne le doit trousbler à peine de cinq cens livres d’amende » (1612) A partir de Jean Verandat (1634) le prieur de SaintBonnet fut en même temps prévôt du Chapitre d'Aigues-Mortes. Du XIe au XV siècle ces prieurés sont tous en plein développement et constituent la richesse du monastère.
En l'an de grâce 1409, sous le règne de Charles VI, par conséquent. S'il n'y a pas de femmes, ni de lépreux parmi les visiteurs, le portier les recevra avec une somptuosité affable et discrète. On entrait par une porte fortifiée qui fait face à la route menant à la Tour Carbonnière. D'un côté, se trouve le logis du corps de garde : les archers sont commandés par un capitaine entretenu aux frais du Couvent et choisi par lui pour le défendre contre les routiers et les brigands. De l'autre, est un petit bâtiment où le Père Portier désarme les arrivants s'ils sont « gens de qualité ». Ce moine annonce les visiteurs au prieur claustral et veille à ce qu'ils ne leur manquent de rien.
Le Couvent est peu peuplé ; ils sont à peine 26, y compris le cellerier (moine responsable des provisions). Tout autour de ces vingt-six bénédictins grouille une colonie de subalternes, de serviteurs, d'enfants de chœur, de paysans.
L'uniforme est tout noir ; un scapulaire noir sur un froc noir, avec un mantelet à capuchon de même couleur, d'où le surnom de « Monachi nigri » (moines noirs). Les religieux sont chaussés de souliers en cuir de Cordoue. Leurs sous-vêtements comprennent une chemise de toile de lin, une étoffe blanche enveloppant le bas de la jambe et serrée par un cordon, de courtes culottes « femoralibus ». Le trousseau comporte, en outre, une assez confortable literie. Certains lits de dignitaires ont des étoffes d'or ou de soie.
On voit par l’examen du régime alimentaire, que les privations austères ne sont non plus coutumières à Psalmodi. L'officier du réfectoire est un novice choisi par le Prieur et il a sous ses ordres deux cuisiniers et un serviteur, puis, dans le couvent, toutes les semaines, les uns et les autres s'occupent du service des plats, opéré selon l'ordre hiérarchique. Le cellérier fournit la soupe et différents mets. Toute réclamation doit être portée devant le Prieur claustral ; c'est également ce dernier qui décide de la manière de traiter les hôtes de passage. A coup sûr, la plus belle charge du cellérier est de « fournir les bassins et les toiles pour laver et essuyer les mains et les pieds des pauvres ».
Il y a naturellement des jours maigres et des jours gras. De toutes façons, toujours deux repas : le déjeuner (prandium) et le dîner (cœna). Les soupes sont des potages aux poireaux ou aux choux, parfois des soupes de gruau au lait d'amandes. Les jours de maigre (mercredi et vendredi comportent du poisson de mer frais. Les dimanches de Carême sont caractérisés par la présence de pois chiches cuits au four, et les autres jours de la Sainte Quarantaine, par du riz et des grains.
Les solennités culinaires (Grandes Fêtes liturgiques auxquelles il sied d'ajouter la Saint-Etienne, la Saint-Jean l'Évangéliste, les Saints Innocents, la Circoncision de N.-S. et l'Épiphanie) sont célébrées par du bœuf, du cochon de lait, des lapins, des œufs. Détail typique, Septuagésime, Quinquagésime, Rameaux, Jeudi-Saint et Samedi Saint ont un menu fort appétissant, un flan par religieux ou 5 œufs, de bons poissons frais et de la « fourme » (fromage languedocien). Le cuisinier a besoin de bois sec? Depuis 1205, date d'une permission du seigneur Rostang de Posquières le Couvent s'alimente dans « la forêt de veuveti ».
Le Père Ouvrier « Maitre des Œuvres ». C'est lui qui doit réparer tous les édifices, creuser les puits ensablés, bâtir les piliers des cloches, amenuiser les bancs et les tables. Bien plus, il a un serviteur tenu de nettoyer chaque - le Prieur de « Sainte Marie de Psalmodi ». Ce sanctuaire est la relique la plus antique du Couvent. Ce prieur carillonneur, confesse les domestiques de l'île, les pauvres et les infirmes de passage. - Père Aumônier (Élemosinarius). De la Saint-Michel à la Pentecôte, il héberge dans le dortoir de l'hôpital les pauvres à qui l'heure où la faiblesse ne permet pas de repartir. En dehors de tout horaire, il soigne scrofuleux et infirmes, ramasse les « miettes de la table du monastère» pour les déshérités de ce monde. Tous les jours, il lave les pieds à trois pauvres. - L'Archiviste est en même temps bibliothécaire ; il conserve avec soin le cartulaire du monastère. En 1190, un acte de l'abbé Foulque donna une rente de 4 sols melgoriens aux héritiers d'Estienne Calvin « proligandis libris sancti Pétri Psalmodiensis »).
Ils se sont à la fois affranchis, dans la province, de toute tutelle laïque ou ecclésiastique et prétendent ne relever que du Roi de France et du Pape.
Cela ne s'est pas opéré ni en un jour, ni sans procès.
Voyons d'abord l'indépendance vis-à-vis de la puissance séculière.
La maison de Saint-Gilles était à redouter au premier chef. En mars 1075, l'abbé-Arnaud II, au cours d'une pieuse visite à l'autel de Saint-Pierre, faite par Raimon de Saint-Gilles et sa femme, Elvire de Castille, accompagnés de leur fils Bertrand, doit reconnaître la vassalité de l'abbaye par une albergue de foin et d'avoine pour 50 hommes d'armes et par un impôt de 2.000 sols en monnaie de Saint-Gilles. En revanche, l'abbé aura droit de justice sauf en ce qui concerne « les crimes d'adultère ou d'homicide ».
Mais la Maison de Toulouse est lointaine et ses princes ont bien d'autres occupations; les voisins immédiats sont autrement dangereux, si tant est qu'on puisse qualifier de la sorte un suzerain dont la puissance vous peut sortir d'un mauvais pas. Comme il fallait s'y attendre, la première attaque vient des Gaucelm de Lunel. En 1112, ce seigneur construit un fort sur le terroir de Saint-Julien et y tient garnison jusqu'à ce que le Comte de Toulouse Alphonse 1er l'oblige à reculer mais nous voyons encore, en 1209, les lunellois démolir plusieurs maisons de Saint-Julien.
C'est en 1203 sous l'importante prélature de Bernard II de Générac que, par Lettres patentes de Philippe Auguste, Psalmodi est déclaré « franc-fief » et soumis de ce fait à la seule suzeraineté royale.
En 1480, le Parlement de Toulouse réduit à néant l'appel de Guillaume Louet de Calvisson, qui se refusait à restituer blé fruits dérobés au Saint-Julien. Le roi Charles VIII, lui-même, doit venir ou secours du Couvent en 1487 et il ordonne prise de corps contre le rebelle qui se rit des décisions du Parlement de Toulouse. Tout de même, en 1496, gain de cause reste à l'Abbé qui devient propriétaire sur le terroir de St-Julien des constructions que Calvisson y a fait élever.
Les lettres de sauvegarde royale abondent dans le cartulaire de Psalmodi. Laissant de côté le faux diplôme de 791 énumérons ceux de Louis le Débonnaire (816) de Charles le Chauve (851), de Charles le Simple (909), des lettres patentes de Philippe Auguste émancipant le Couvent de toute tutelle laïque (1203) et cela se poursuit par Philippe IV (1374), Charles V (1405), Charles VII (1440). Mais Louis XII (1510) revient sur des lettres de Charles VI (1400), touchant l'élection de l'Abbé Girard de Pelet qui fut cassée.
Ce fut le Parlement de Toulouse qui mit fin à cet abus.
La Commende (du latin commendare, confier), était l'usufruit d'un bénéfice ecclésiastique, accordé par le Pape à un personnage qui n'en exerçait pas les fonctions. Il ne s'établit à Psalmodi qu'en 1482. Encore Guy Lauret, Jacques et Martin de Beaune, L. de Canosse, Régnauld de Martigny sontils des évêques régulièrement consacrés, mais il n'en va pas de même pour les de Fayoles et les de Calvière.
L'abbé, protecteur naturel du Couvent, en devient l'exacteur. Dès 1498, il faut du papier d'homme de loi entre les religieux et leur chef, les moines reconnaissent à l'abbé, divers usages « sous l'albergue de 16 livres tournois».
En 1532, ils protesteront contre cet acte et le Parlement de Toulouse devra statuer encore, en 1647, la « jouissance commune de la Pinède. »
C'est l'heure de la sécularisation qui sonne.
Que se passa-t-il au juste ? Il n'est que trop aisé de l'imaginer et les documents sont là. Le grand prieur claustral, soustrait à tout contrôle disciplinaire, imite les Abbés dans leur souci exclusif des biens terrestres. D'autre part, le vent d'Allemagne apporte sur les bords du Rhône, du Vistre et du Vidourle, l'hérésie luthérienne. Or, ce sont les réguliers qui, à partir de 1540, comme en 1792, fournissent les plus nombreux et les premiers évadés de l'Eglise. De plus, nous avons fait allusion plus haut, aux agissements peu délicats des Calvisson. La garnison, que le baron a établie vers 1480 dans le fort Sainte Julien, comprend des soudards adonnés au jeu et à la boisson, qui attirent les filles de mauvaise vie. En 1483, un arrêt du Parlement de Toulouse est rendu contre Calvisson, « cet homme terrible et sans conscience. » Tout d'abord, les moines sont violemment révoltés contre de tels attentats, puis trois années s'écoulent et l'accoutumance commence son œuvre. ... Après Satan, Guillaume Louet de Nogaret de Calvisson est le principal responsable de la décadence morale de Psalmodi. Le ver rongeur est entré dans le fruit et rapidement la décomposition intérieure va s'opérer. Bientôt, deux catégories de moines ne veulent plus de l'antique règle bénédictine : les libertins et les hérétiques. Les premiers restent attachés à l'Eglise, mais pensent, peut-être, trouver au sein du clergé mondain, une existence plus large et plus libre. Les seconds, instruits des « prédications hardies », dénoncées par les échevins de Nîmes, le 7 Avril 1532, doutent non seulement de Saint Benoît, mais du catholicisme lui-même. Les documents portent à croire que ces derniers furent très peu nombreux. Il fallait trouver un prétexte; on en découvrit deux fort ingénieux au cours d'un chapitre général tenu le lundi de Quasimodo, 12 Avril 1537, par les 26 religieux présents. Le Placet de Sécularisation de François 1er y fait allusion : « Considérée la situation de ladite Abbaye qui est, ainsy que nous sommes bien advisés, en lieu malsain et à propos pour habiter en danger des invasions et incursions des coursaires ». Certes, les fils de Benoît d'Aniane avaient supporté du tant des siècles, les piqûres des moustiques languedociens. Pénitence bien légère, somme toute, pour un ascète. Mais le souvenir des farouches Sarrazins était bien loin pour pouvoir être remis en cause, et parler des « incursions des coursaires » tournait à la bonne galéjade depuis les temps immémoriaux ou Psalmodi était distant du littoral de plus de quinze kilomètres. Seulement, les secrétaires royaux feignaient d'ignorer la topographie du golfe du Lion.
Le placet de François 1er est daté du 16 mai 1537 et la bulle du pape Paul III qui le confirme du 15 décembre de la même année. Le 27 mars 1536, Psalmodi avait été précédé par Maguelonne devenu évêché de Montpellier. Les frais furent très élevés, car les moines durent emprunter au sieur Franc Conseil 3.000 écus d'or et au sieur Jean Fortia, 4.593 livres pour payer les droits de procédure. La chose n'alla pas d'ailleurs sans difficulté; les Etats de Languedoc firent des remontrances au Roi sur cette sécularisation, ainsi que sur plusieurs autres et, encore dix ans plus tard, le 17 octobre 1547, une assemblée, tenue à Carcassonne, déclarait qu'il « seroit acquiescé à la volonté du Roy, sauf aux particuliers si bon leur semble de poursuivre », Ce n'était pas des motifs religieux qui animaient les protestataires, mais la perte de bénéfices et de privilèges fonciers, fondés sur de vieilles servitudes dont comptaient bien tirer parti les petits seigneurs voisins de l'abbaye. Ces bénéfices passaient tous au chapitre collégial d'Aigues-Mortes, résidant à Notre Dame du Sablon. Les revenus étaient assez coquets, l'abbé doyen touchait de 18 à 20.000 livres de rente (près de 80.000 frs de 1914); chaque chanoine, 8 à 900 livres (près de 2.000 frs de 1914). D'autre part, le doyen était le décimateur d'Aigues-Mortes et possédait la feuille des impôts. Situation qui se maintiendra après le transfert à Alais (1094). Voici que le Protestantisme déferle à Aigues-Mortes ; une partie du chapitre apostasie et l'autre prend la fuite (comme, en témoignera une supplique à M. de Bernage, Intendant du Languedoc, en 1728). Sous le décanat de Barnabé de Fayoles (1550), habitant Paris et régisseur pour le compte du Connétable de Montmorency, huit chanoines passent au parti huguenot, en 1563. François et Jean de la même famille de Fayoles se lèguent les revenus, mais en 1606, nous les voyons aux mains de Marc de Calvière, baron de Coufoulens et d'Hauterive, président au Parlement de Toulouse. Le 16e jour des calendes de juin de cette même année-là, Innocent XII fulmine une bulle par laquelle Alais est érigé en évêché du consentement mutuel des chapitres de Nîmes et de Psalmodi, et il est stipulé que tous les revenus de l'ancien monastère passeront au nouveau chapitre cathédral. Le domaine de Psalmodi lui-même, les ruines de Saint-Pierre et de Sainte-Marie, au nom si mystiquement poétique, a été débaptisé. Ce n'est plus Psalmodi, c'est en patois du pays San-Mozy (francisé en Saint Mauzy); saint nouveau assurément, que nous chercherions en vain dans le martyrologe chrétien. La terre même a été affermée, en 1693, au sieur Jean Fontaine pour 600 setters de bled thouzelle et 30 salmées d'avoine. De leur côté, les chanoines renonceront en faveur dudit fermier, aux deux salmées de bled qu'on a accoustumé de donner pour le passage de la Tour Carbonnière et aux poules qu'on leur apportait pour la Noël. L'évêque d'Alais est bien loin et les chanoines d'Aigues-Mortes paraissent être dans un état de torpeur ; les habitants de Saint Laurent d'Aigouze se livrent à des déprédations au bord du Vistre (1701). Et c'est quand un abbé-doyen songe à faire de ces ruines un moulin-à-vent, (le monticule étant excellemment exposé au mistral), que le camisard Abdias Morel, dit « Catinat », à la tête de sa troupe cévenole, dans la nuit du 26 avril 1704, appelé peut-être par le fermier d'alors, qui était un protestant du nom de Fontanès, met le feu aux vestiges du passé, « Plusieurs catholiques fuyant (la bande des Camisards) s'étaient réfugiés dans la nef, ils furent maltraités et quelques-uns tués. L'émotion passée, les bénéficiaires retombent dans leur somnolence. Déjà, en 1696, les habitants d'AiguesMortes se plaignaient de n'avoir personne pour leur prêcher le Carême; ils avaient dû s'adresser à l'illustre Fléchier et l'évêque avait désigné d'office, le 17 février, le Père Bernard Vigne, mettant à la charge du chapitre les honoraires du prédicateur, s'élevant à 200 livres tournois. Le 14 octobre 1707; c'est au tour des paroissiens de Saint Sauveur de Marsillargues, de faire appel au Roi lui-même et le parlement de Toulouse condamne le chapitre à payer les portions congrues des curés et vicaires de Marsillargues. Grâce au règlement de 1720 (1), on peut voir vivre nos bons chanoines; on leur défend de « porter perruques avec mondanité, de causer au chœur, de s'offrir du tabac à priser et de se faire des signes; un bon chanoine, fut-il noble, n'a pas le droit de porter l'épée ni de revêtir des costumes de chasse, ni de se livrer aux jeux de hasard ... » Péchés mignons que tout cela et excellent rappel à l'ordre où l'on sent l'esprit bienfaisant et grandissant des Sulpiciens et de M. Olier. S'il est juridiquement possible, avec de hautes protections, de garder des titres de propriétés, il l'est moins de faire fructifier des domaines qu'on ne visite plus; néanmoins, un effort est tenté le 17 mars 1723, par l'évêque Ch. de Banne d'Avéjan, aumônier de la duchesse de Berri. Il s'associe avec d'autres propriétaires, pour une entreprise des Salins de Peccais. Mais l'échec est total et quelques années plus tard, le prélat demande au roi la permission de vendre ces Salins « qui ne sont plus pour lui qu'une source de pertes depuis que personne ne les surveille plus. » Enfin, c'est la déconfiture; on vend tout. Une lettre patente de Louis XVI (1786), autorise le chapitre d'Alais, à vendre les seigneuries directes, censives, etc ... d'Aubais, Aigues-Vives, Aimargues, Codognan, Lunel, Marsillargues, Mudaisons, Saint-Clément, AiguesMortes, Aspères, etc. pour rembourser les dettes de l'église cathédrale. Ainsi, le fantôme de l'antique Abbaye n'a pas eu assez de forces pour attendre le coup de grâce de la Révolution. Le sieur Laurent de Joubert, baron de Sommières, bénéficie un moment de cette débâcle ; les Etats de la province font un suprême effort en 1788, en allouant au Chapitre, une rente de mille francs ... Or, les chanoines de Louis François de Bausset ne vont pas en jouir longtemps; 1789 est là, et le 24 janvier 1791, Psalmodi, le domaine, le maisonnage, les terres cultes, les pâturages et toutes dépendances sont vendus pour la somme de 241.000 frs à Denis Rame, Abraham Combe fils et à Jean-Louis Trouchaud.
Sources
- PASALMODY par Georges Rivals, 1937 (Edition www.nemausis.com)
- G. d'Avenel, Les enseignements de l'Histoire des Prix, Payot, 1925 - page 141.
- Jules PAGÉZY, Mémoire sur le Port d'Aigues-Mortes, Paris, Hachette, 1886, in-B".
- Ch. LENTHÉRIC, les villes mortes du Golfe du Lion, Paris, Plon, Se édition, 1889, pages 351-363.
- Arch. du Gard;H, 112, 113, 115.
- MÉNARD, Histoire de la Ville de Nismes, l, Preuves, col. 2 (Archives du chapitre de Saint-Gilles).
- Histoire générale du Languedoc, Devie, Vaisseffe, Preuves V, col. 775.
- Archives du Gard, H. de 139 à 140. 1/ Y avait un autre St-Bonnet de Thoiras (prés Lasalle), dépendent de l'Abbaye de Saint-Gilles (H. 23).
- L’abbaye de Psalmodi par l’Abbé E. Goiffon . Source gallica.bnf.fr
Relecture Lysiane et Christian Letellier