UNE USINE DE FABRICATION DE TARTRE À CALVISSON

Origine du tartre ou vert de gris

Le dictionnaire de Trévoux, paru entre 1704 et 1771, définit de manière assez figurée, la naissance de ce tartre : « Le tartre a le suc de raisin pour père, la fermentation pour mère et le tonneau pour matrice. » 
C'est en effet une excellente définition du tartre brut, celui que l'on trouve déposé sur les parois des contenants vinaires, les tonneaux le plus souvent, dans lesquels du vin a séjourné assez longtemps. Il est à signaler que le tartre, particulièrement celui de l'Hérault, a fait l'objet de nombreuses études et publications dont celles, récentes, d'Irène BONNOT et de Jacques ROUQUAIROL (voir la bibliographie en fin d'article).
Ce tartre(1) a naguère porté le nom de pierre de vin ou de sel essentiel de vin : dans le cas des vins blancs, le tartre était aussi nommé gravelle, qui désignait aussi, autrefois, la lithiase urinaire. En occitan, le tartre est appelé : grésa, rausa, tertat… L'abbé de S ... , (en fait, l'abbé BOISSIER DE SAUVAGE), le nomme grézo ou acide de vin. Ces dépôts de tartre sont connus depuis fort longtemps puisqu'on en a découvert, sur un site archéologique iranien, au fond d'une amphore à vin datant de -5500 ans. Vers 800, l'alchimiste arabe Jabir ibn HAYYAN parle de tartre en évoquant le dépôt apparu dans les amphores ayant contenu du vin. Simon DE GÊNES, médecin de la fin du Xlllème siècle, écrit que le terme de tartrum est d'origine arabique.
 

Selon la mythologie grecque, les Enfers sont un lieu souterrain où, après la mort, les âmes sont dirigées pour y être « pesées » par trois juges : RHADAMANTHE, EAQUE et MINOS ; ces âmes, selon leurs actes lors de leur passage sur la terre sous forme humaine, seront soit récompensées et envoyées vers le séjour lumineux des justes (les Champs Elysées), soit elles seront châtiées et enfermées dans le séjour obscur des maudits. Dans les Enfers, les dieux ne devaient pas être mêlés, même après leur mort, au vulgum pecus. Il leur est réservé une partie spécialement « noble » : le Tartare ; c'est là que JUPITER précipita les dieux qu'il vainquit : les Titans, les Géants, les Cyclopes ainsi que les anciens dieux qu'il chassa de l'Olympe. Cette explication du Tartare étant donnée, il faut reconnaître que, pour l'instant, la liaison entre tartre et Tartare est assez obscure. Notre région, riche productrice de vins, a été naguère un gros centre de production de tartre : « Aniane s'occupe encore de la cristallisation et du raffinage du tartre pour les teintures, la médecine, etc …. Ce sel passe par Montpellier et Cette où les Hollandais viennent le prendre pour le porter chez eux, à Hambourg ou ailleurs.» Il s'en fabriquait aussi à Clermont-de-Lodève : petite ville du Bas-Languedoc ... fabriques et commerce de londrins, laines, cuirs, bétail, vins, eaux-de-vie, huile d'olive, vitriol, tartre, vert-de-gris ... ».
 

Le tartre, sous forme de petits cristaux plus ou moins rouges, selon la nature du vin qui l'engendre, tapisse les parois des contenants où du vin a séjourné assez longtemps. En fait, ce dépôt est un mélange variable de tartrates de potassium, de sodium, de calcium; ces tartrates sont des sels, simples ou doubles, de l'acide tartrique naturel ; cet acide, peu répandu dans le règne végétal, est présent dans le jus de raisin à un taux décroissant au cours de la maturation de ce fruit. Certains vins en contiennent plus que d'autres, c'est le cas des vins rouges du Languedoc. Les vins de Champagne n'en contiennent pas ou très peu. La récupération de ce tartre de vin, s'est d'abord faite, assez tôt, de manière très artisanale, en détachant par grattage des parois internes des douelles à l'aide de simples racloirs ; quand la croûte était trop épaisse, on utilisait une martetette (ou hachette de tonnellerie). Il est à noter qu'une récolte « féminine » du tartre fut, à un moment, en vogue dans notre région: du fait de peu d'efforts à fournir, beaucoup de dames tiraient quelques profits de la récupération. On entend souvent parler indifféremment, et avec beaucoup de confusion, de tartre, de crème de tartre, d'acide tartrique et d'autres termes désignant les sels de l'acide tartrique. Donc il a été nécessaire de clarifier, avec l'aide de la chimie et surtout de l'EFSA. Certes ces dénominations peuvent sembler énigmatiques, mystérieuses même mais elles ont le très gros avantage de permettre au consommateur curieux ou cuisinier non chimiste, de savoir de quoi il s'agit quand il voit un E chiffré dans les ingrédients composant un aliment.

On trouvait aussi une usine de fabrication du tartre à Calvisson dans la Vaunage.

Bibliographie

DIDEROT et D'ALEMBERT : Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Paris 1751-1772.
FIZES : Manière de préparer, de dépurer et de blanchir le Crystal de Tartre, envoyé à l'académie Royale de Montpellier (1774).
ROUQUAIROL  : La crème de tartre, Cercle généalogique du Languedoc n0118, 2008.

Notes

1) Ces différents dépôts, dus à la précipitation de sels insolubles de calcium sont présents, par exemple, dans les conduites d'eau ; cette concrétion, dite aussi "calcaire", est liée à la dureté de l'eau, à la température comme c'est le cas dans les chauffe-eau, les machines à laver. .. Collé aux dents, le tartre dentaire, à base de phosphate de calcium, est souvent le nid de germes pouvant causer des gingivites ou des parodontiles. Enfin, des sels de cal­cium (phosphates surtout) issus des urines, sont à l'origi­ne de dépôts dans les urinoirs ou dans les pots de chambre.

                                                Relecture : Françoise Ladu