Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage
30 Novembre 2023
Cet article a été composé d'extraits tirés de l'ouvrage « ANAGIA » de Michel Py.
En 2019 une conférence consacrée aux oppida de la Vaunage a été présentée par Jean Pierre VINCHON avec l'accord de l'auteur.
Situation de trois oppida de Calvisson. L'oppidum du Roc de Gachone fera l'objet d'un autre article.
LA FONT DU COUCOU
D'autres agglomérations du 1er âge du Fer de Vaunage sont moins connues que l'oppidum de la Liquière de Calvisson. Deux habitats de la fin de cette période ont cependant fait l'objet de fouilles ponctuelles. Il s'agit tout d'abord de l'oppidum de la Font du Coucou, déjà occupé au Bronze final et sur lequel un nouveau groupe vient s'installer dans la deuxième moitié du VIe s. av. n. è. Bien qu'elle n'entretienne aucune relation avec celui de la Liquière, la seconde occupation s'établit sur une zone proche de la première, sans doute en raison des rapports étroits que ces habitats entretiennent avec la source pérenne à laquelle ils doivent leur nom.
Les prospections de surface suggèrent que le village de hauteur de la fin du 1er âge du Fer occupait une surface supérieure à celui du Bronze final, atteignant presque deux hectares. Seule une zone d'habitat et un dépotoir connexe ont été fouillés au centre du site. Une zone a livré les restes de deux habitations successives, séparées par une couche de destruction pierreuse de 20 à 35 cm d'épaisseur. Le niveau le plus ancien se situe dans une excavation du substrat dessinant un plan irrégulier en forme de croissant, limitée par d'importantes sautes de rocher taillées de main d'homme. Le sol était constitué soit par le rocher aplani, soit par une couche de brisures calcaires et de terre argileuse. Au centre de l'excavation se trouvait un foyer marqué par une concentration de charbons de bois entourée de trois grosses pierres plantées disposées en U. La surface utile de ce premier sol ne dépasse pas 5 m2 dans l'enceinte des sautes rocheuse, mais, comme dans les cas précédemment évoqués, il est probable que l'habitation ne se limitait pas à cette dépression.
Au-dessus du niveau de destruction remplissant le premier fond de cabane, un second niveau d'habitat était concrétisé par de nombreux éléments de vases recassés sur place, des restes de faune et des passées cendreuses accumulées sur une dizaine de cm d'épaisseur.
Le dépotoir se tient immédiatement au nord de ces habitations, dans une zone extérieure dont on a exploré 18 m2. Dans ce secteur, le rocher naturel n'a pas été retouché et présente une surface irrégulière. Aucun sol d'habitat n'y a été repéré, mais seulement des couches d'épandage contenant, outre des pierres de différents calibres, de nombreux tessons, ossements et charbons de bois. Un grand fragment d'urne en position verticale, recoupant ces niveaux de rejets, trahit l'homogénéité du remplissage et sa formation relativement rapide.
La chronologie de l'ensemble s'inscrit entre le milieu du VIe s. et le début du V s. av. n. è. Le dépotoir C5, qui a livré des fragments de canthares en bucchero nero*, une coupe à pâte grise de type ancien, des éléments d'amphores étrusques 3AB et 3C et quelques fragments d'amphores massaliètes à pâte non micacée, est pour l'essentiel datable du troisième quart du VIe s. La cabane CI voisine semble postérieure à ce dépotoir. Le sol primitif est en effet daté du dernier quart du VIe s. par une coupe attique de type C à fond large associée à des amphores massaliètes à pâte non micacée et à des bords d'amphores étrusques de forme 3AB et 3C, tandis que le bucchero est absent. Le sol le plus récent de la cabane CI donne des amphores massaliètes à pâte non micacée et à pâte très micacée en compagnie de tessons d'amphores étrusques de type 3C à engobe blanc, et surtout de type 4 à bord allongé : on le situera aux alentours de 500 ou dans le premier quart du V s. av. n. è.
*Le bucchero est un type de céramique noire et brillante, souvent fine et très légère, en monochromie noire (bucchero nero), qui fut produite dans le centre de l'Italie par les Étrusques.
Au sein du mobilier céramique, les vases non tournés sont toujours très majoritaires, puisqu'ils constituent 67 à 71 % des tessons recueillis sur les sols d'habitat et jusqu'à 92 % dans le dépotoir, où l'on a rejeté principalement des vases locaux, notamment plusieurs grosses urnes brisées en multiples fragments. Le répertoire des formes est peu différent de celui de La Liquière, mais on remarque néanmoins une simplification des profils, plus adoucis, et la disparition des formes les plus typiques du faciès suspendien*, telles que les urnes à grand col évasé ou les coupes-couvercles tronconiques à bord facetté; de même, la céramique excisée n'est plus attestée. Les importations de céramique évoluent sensiblement. La vaisselle tournée, qui représente 8 à 11% des tessons dans une cabane, est à peu près dans les mêmes proportions qu'à la phase II de La Liquière. On y trouve la même prédominance des vases gris monochromes, suivis d'assez loin par les vases à pâte claire massaliètes, tandis que l'attique est particulièrement rare (1 tesson seulement), signant un faciès d'importation relativement pauvre. Par contre , les importations amphoriques sont en nette croissance, puisque l'on passe d'un taux de 9,9 % des tessons à La Liquière II à 18-22 % dans la cabane. Parmi elles, les amphores massaliètes non micacées, apparues vers 540-530, puis micacées à partir des années 510 av. n. è., dominent désormais (53-56 % des tessons d'amphore) au détriment des amphores étrusques. Celles-ci cependant, avec une proportion atteignant encore 43 % des tessons d'amphores dans les premières années du Ve s. av. n. è., restent ici beaucoup plus fréquentes que sur la plupart des sites de Gaule méridionale: il est possible que ce score particulièrement élevé ait à voir avec l'installation contemporaine, dans le comptoir littoral de Lattara - distant d'une trentaine de kilomètres seulement -, de courtiers étrusques dont on a montré qu'ils assuraient la réception et la diffusion de ces amphores vinaires.
* Le faciès du premier âge du Fer du Languedoc oriental est dénommé Suspendien par référence au mobilier de la Grotte Suspendue de Collias (Gard).
Les autres objets sont peu abondants et d'usage commun : encore des fusaïoles et une aiguille à chas pour le textile, une molette en basalte pour la mouture et quelques parures en bronze : bracelets armilles filiformes d'un type déjà rencontré ; fibule à pied relevé en bouton conique, variante simple du type « Golfe du Lion» dont l'arc étroit est inorné.
La faune recueillie, analysée globalement du fait du petit nombre d'individus confirme les tendances mises en évidence sur le site voisin de La Liquière : on observe de même la primauté des moutons et des chèvres en nombre de têtes, parmi lesquels 60 % de jeunes et de très jeunes animaux témoignant d'une forte rentabilité. Si les suidés sont un peu moins nombreux, les bœufs et les chevaux compensent largement la diète carnée en fournissant plus de 56 % du poids de viande consommable. La chasse, avec 21 % des animaux attestés et 22 % du poids de viande, est encore une fois particulièrement active et rentable. On note enfin la présence persistante du chien, qui représente ici 7 % des animaux déterminés, bien qu'on ignore la part abattue pour la viande par rapport à une possible exploitation pour la peau.
LA NÉCROPOLE DE LA BERGERIE HERMET
À la base de l'oppidum de la Font du Coucou, le défonçage agricole qui a révélé l'habitat du Bronze final IIIb de la Bergerie Hermet a également détruit quatre tombes dont trois sont contemporaines de la deuxième occupation de la Font du Coucou, la quatrième étant datable du I" s. av. n. è et isolée de tout contexte. Ces tombes se situaient dans le même secteur que les habitations du Bronze final.
La première tombe était complètement bouleversée : la charrue était descendue plus bas que le fond du loculus*, dont le remplissage avait éclaté en petit tas de cendres et de charbons de bois mêlés d'ossements humains calcinés, de débris de céramique et de fragments métalliques, tous passés sur le bûcher. Parmi les vases, on a pu reconstituer une coupe attique à vernis noir de type C à pied étroit datable des premières années du Ve s. av. n. è. ; et un curieux vase support en céramique grise monochrome de fabrication probablement massaliète, muni d'un très haut fond dont la base est décorée d'ondes incisées, forme au demeurant unique en son genre dans l'état actuel des connaissances. Un tesson de panse d'urne non tournée orné d'une rangée de traits incisés et un couteau en fer à dos arqué et manche riveté complètent ces offrandes. Les fragments d'os recueillis appartiennent exclusivement au crâne d'un adulte présentant un métopisme persistant. Le couteau pourrait indiquer une tombe masculine.
* Nom commun - français. loculus masculin. (Archéologie) Loge ou cellule dans un columbarium ou une catacombe, niche funéraire.
La tombe 3 était un peu moins abîmée. Située entre deux sillons, elle avait été en partie renversée par la charrue : les vases avaient éclaté, mais l'ensemble du mobilier restait groupé. Le fond du loculus, à 80 cm sous la surface du sol, portait l'empreinte de l'emplacement de deux vases et semblait durci par le feu. Tout autour du mobilier se trouvaient de nombreuses pierres brûlées en provenance du bûcher. Les offrandes comprenaient trois urnes non tournées : une complète à fond plat, une autre très fragmentaire à fond creux et épaule ornée d'un double chevron incisé, une troisième complète à pied annulaire ; cette dernière servait d'ossuaire et contenait la majeure partie des objets métalliques. En outre, le fond d'une amphore étrusque de type 4 avait été déposé verticalement dans le loculus contre l'urne cinéraire. Le mobilier en bronze, plus ou moins fragmenté, est abondant : on relève 1 fibule à pied relevé en bouton conique et arc aplati ; les fragments de 3 anneaux-plats; 10 bracelets complets et les fragments d'au moins 14 autres bracelets du même type: il s'agit d'armilles* faites d'un très mince ruban plat de 2 à 3 mm de hauteur, dont plusieurs sont décorées de chevrons en incisions très fines; leur diamètre, compris entre 58 et 63 mm, indique probablement des parures féminines. Les ossements recueillis près de l'urne cinéraire montrent une crémation très incomplète ; ils appartiennent à un individu jeune ou adolescent.
* Anneau se présentant sous la forme d'une moulure et prenant l'aspect d'un petit bracelet, et qui était fréquemment employé dans l'architecture de la Grèce antique.
Bijou ou objet de parure prenant la forme d'un bracelet ou d'un anneau de taille réduite
De la tombe 4, il reste peu de choses : un bord d'amphore massaliète non micacée, datable du dernier tiers du VIe s. et six bracelets armilles en bronze complets, présentant un ruban plus large que ceux de la tombe 3 ; presque tous sont ornés sur leur face extérieure d'incisions dessinant des chevrons et dans un cas un croisillon. Les ossements associés, irrégulièrement incinérés, appartiennent à un sujet jeune, sans doute féminin si l'on en croit le faible diamètre des bracelets. Plusieurs documents isolés découverts dans le même secteur témoignent de la présence d'autres tombes contemporaines détruites anciennement, notamment un bord de coupe attique de type C, un bord de coupe à pâte claire massaliète, un fond de vase gris monochrome et un fragment de fibule en bronze à faux ressort ornemental en arbalète. Cette petite nécropole à incinération fait partie des rares ensembles funéraires du I" âge du Fer connus dans la partie littorale du Languedoc oriental.
Nettoyage de la Fontaine du Coucou par des membres de l'APROMICAV
Relecture Lysiane et Christian Letellier
Relecture Lysiane et Christian Letellier