Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage

APROMICAV CALVISSON

L'OPPIDUM DE LA LIQUIÈRE

AU TEMPS DES PREMIERS CONTACTS MÉDITERRANÉENS

 

Cet article a été composé d'extraits tirés de l'ouvrage « ANAGIA » de Michel Py.

En 2019 une conférence consacrée aux oppida de la Vaunage a été présentée par Jean Pierre VINCHON avec l'accord de l'auteur.

Villages du Ier âge du Fer

C'est l'époque où se développent sur les rivages méditerranéens de la Gaule les échanges maritimes avec les Puniques, les Étrusques et les Grecs. Au milieu de cette période, la fondation de Marseille par les Phocéens en 600 av. n. è. représente un événement majeur dont les conséquences seront multiples et durables. La présence de ces étrangers sur le sol gaulois, le développement continu de leur activité marchande, les contacts qui s'ensuivront vont susciter chez les indigènes des besoins et des pratiques nouveaux, mais aussi des résistances et des réactions identitaires qui conditionneront l'évolution de la civilisation locale. C'est de ce parcours que témoignent, entre autre, les sites de l'âge du Fer de la Vaunage.  
 

L'oppidum de La Liquière depuis la plaine de la Vaunage et à son sommet la tour de surveillance des incendies. Et situation de l'OppidumL'oppidum de La Liquière depuis la plaine de la Vaunage et à son sommet la tour de surveillance des incendies. Et situation de l'Oppidum

L'oppidum de La Liquière depuis la plaine de la Vaunage et à son sommet la tour de surveillance des incendies. Et situation de l'Oppidum

Le VIIe siècle : crise ou méconnaissance ?

Un seul gisement situé en plaine de la Vaunage se rapporte à la phase ancienne , au lieu-dit Fromageade, à 1,2 km au sud-est du Roc de Gachonne : sur un faible tènement1 en bordure du chemin salinier, une prospection a permis de récolter sur un quart d'hectare 180 tessons de céramique non tournée, dont certains portent un décor excisé. Les formes appartiennent au faciès « Suspendien2 » du Languedoc oriental (défini d'après le mobilier de la Grotte Suspendue à Collias, Gard), tandis que l'absence de toute importation méditerranéenne indique une phase antérieure à la fin du VIIe s. 

La différence est donc nette avec la période précédente qui connaissait dans la même zone, trois habitats groupés relativement importants. Cette sorte de déprise après une intense occupation au Bronze final et avant une reprise dans la suite de l'âge du Fer n'est pas isolée dans le Midi : on la constate par exemple sur l’oppidum du Cayla de Mailhac dans l'Aude, à Saint-Blaise et au Baou-Roux dans les Bouches-du-Rhône, sur les gisements lagunaires bordant l'étang de Mauguio dans l'Hérault, et sur bien d'autres sites. Certains en ont déduit l'existence au VIIe s. d'une crise marquant une rupture dans l'évolution des civilisations protohistoriques méridionales. Cette conclusion paraît exagérée car, dans la plupart des cas, il ne s'agit pas d'une disparition des habitats mais d'un déplacement, soit des hauteurs vers les plaines dans le cas des oppida, soit du bord des étangs vers le proche hinterland sur le littoral. Des installations du VIIe s. sont d'ailleurs bien attestées au voisinage de la Vaunage, que ce soit dans la plaine de la Vistrenque, au sud de Nîmes et de Vergèze, ou dans les bassins du Bois des Lens.  

C'est à la période immédiatement postérieure, couvrant les dernières années du VIIe s. et VIe s. av. n. è., qu'appartient l'oppidum de La Liquière dominant le hameau de Sinsans, au nord de Calvisson.

1 - Ensemble de propriétés contiguës.
2 - suspendu, stop, arrêté.

 

Site de La Liquière (30 novembre 1963) antérieurement au travaux de reboisement (cliché IGN Géoportail) et cliché de 2021Site de La Liquière (30 novembre 1963) antérieurement au travaux de reboisement (cliché IGN Géoportail) et cliché de 2021

Site de La Liquière (30 novembre 1963) antérieurement au travaux de reboisement (cliché IGN Géoportail) et cliché de 2021

Un urbanisme spontané en ordre lâche

La forme globale du village de La Liquière peut être déduite de la topographie des lieux antérieurement aux travaux récents de reboisement qui en ont en partie gommé les limites. Sur les photographies aériennes antérieures à 1980 se distingue nettement une zone oblongue entourée d'un tas d'épierrement, dominant au nord la source de la Font des Demoiselles. C'est dans les limites de cette parcelle de tracé ancien que se rencontrent en surface des mobiliers roulés attestant la présence d'habitations du 1er âge du Fer, tandis qu'aucun document de ce type n'existe au-dehors. Si l'on se fie à ces critères, le village aurait atteint près de 3 ha dans sa plus grande extension.

Aucune fortification bâtie n'a été formellement repérée. Les tas de pierres délimitant la parcelle sur les deux tiers de son pourtour ont fait l'objet de sondages qui n'ont révélé que des murets modernes. Le site était bien sûr protégé par les fortes pentes qui délimitent le plateau et il n'est pas exclu que cette défense naturelle ait été complétée par quelque palissade. Par ailleurs, son altitude offrait un point de vue exceptionnel à 360° sur les environs immédiats ou plus lointains qui pouvait assurer au village une relative sécurité, si tant est que la période où il vécut fût réellement troublée, ce dont il est permis de douter.

Les fouilles, qui n'ont concerné que la bordure nord-est du plateau, ont révélé une organisation des habitations en ordre lâche caractéristique d'un urbanisme spontané, sans schéma préconçu, mais adapté aux conditions naturelles. L’entaille du socle calcaire qui a présidé systématiquement à l'établissement des cabanes, du moins dans leurs phases les plus anciennes, a conditionné leur distribution et leur forme. De longues diaclases* parallèles d'orientation nord-nord-est, figurées ci-contre sur le plan général, ont été mises à profit pour débiter le rocher et établir les sols sur un substrat souvent torturé et peu propice à l'occupation, créant de ce fait des orientations privilégiées. Entre les cabanes se tiennent des espaces intermédiaires assez étendus, induisant une répartition très aérée des unités domestiques dont aucune ne se touche : la fouille de l'un de ces espaces (L8) a montré son intense utilisation par les riverains. 

 

*Diaclases : En géologie, une diaclase (du grec διά [dia], « par » et klasis, « fracture, rupture ») est une déformation au cours de laquelle une roche se fend sans que les parties disjointes s'éloignent l'une de l'autre

Plan des fouilles de La Liquière montrant la répartition des habitations du 1er âge du fer.

Plan des fouilles de La Liquière montrant la répartition des habitations du 1er âge du fer.

Quatre phases d'occupation

L'un des intérêts du gisement de La Liquière est d'avoir livré dans plusieurs cas des habitations successives établies au même endroit : l'étude de leur stratigraphie et des mobiliers associés, qui évoluent rapidement, a permis de distinguer quatre phases dans l'occupation protohistorique du site.

La première phase, dénommée I ancien, est datable des dernières années du VIle s. et du début du VIe s. (vers 610-590) ; elle voit l'installation des premières cabanes accompagnée le plus souvent d'un creusement ou d'un aplanissement du substrat calcaire.

Dans un deuxième temps (phase I récent, vers 590-570), plusieurs fonds de cabane sont réoccupés dans les mêmes limites après arasement des structures antérieures. Les sols s'établissent à la fois sur les sédiments accumulés durant les décennies précédentes et sur les marches de rocher conservées à l'intérieur des cabanes primitives.

La troisième période, entre 570 et 540 environ (phase II), est illustrée par des habitations débordant des excavations, désormais colmatées, et s'étendant sur les strates hautes du substrat, tandis qu'au centre des cabanes les sols s'établissent sur les sédiments terreux résultant des occupations antérieures.

La quatrième période (phase II récent, vers 540-500) n'est attestée que par des mobiliers en position remaniée dans les couches superficielles du terrain, les niveaux d'habitat correspondant ayant été partout détruits par les travaux de culture et par l'érosion qui en a résulté. Des travaux agricoles, liés à une installation précaire, semblent avoir eu lieu dès l'époque romaine, comme le laissent penser des documents erratiques (tessons, tuiles, monnaies du Bas-Empire) recueillis en différents endroits dans les niveaux de surface.
 

Partie conservée de la cabane L2 et vue d'ensemble de la cabane L3Partie conservée de la cabane L2 et vue d'ensemble de la cabane L3

Partie conservée de la cabane L2 et vue d'ensemble de la cabane L3

La succession de plusieurs niveaux de chronologie semblable dans plusieurs cabanes témoigne-t-elle d'occupations multiples et épisodiques des lieux séparés par des périodes d'abandon ? Ou bien est-elle le résultat de réfections affectant chaque cabane à divers moments d'une occupation longue et continue du village ? L'Impossibilité où l'on est de dater avec une suffisante précision chaque reconstruction empêche de valider la première option, tandis que la réoccupation presque systématique des aires précédemment bâties renforce l'hypothèse d'une continuité de l'habitat, malgré le constat d'une discontinuité dans les structures des habitations. La fixité de l'implémentation des cabanes montre par ailleurs que l'organisation globale du village, avec ses bâtiments, ses lieux d'activité, ses axes de passage et ses dégagements, restait lisible et fonctionnelle d'une phase à l'autre et que l'on en respectait l'ordonnancement.
 

La cabane L7A dans son état primitif. Lors de sa création, le sol de cette habitation se répartissait sur deux étages délimités par d'importantes sautes de rocher.

La cabane L7A dans son état primitif. Lors de sa création, le sol de cette habitation se répartissait sur deux étages délimités par d'importantes sautes de rocher.

Des maisons traditionnelles

Le creusement des aires d'habitation dans le rocher calcaire est caractéristique de la phase I ancien, où l'on s'installe sur un terrain vierge et assez tourmenté. La profondeur de la taille varie selon la pente du substrat : limitée à 20-30 cm sur un terrain plan, comme en L10 et L11, elle atteint 50 à 70 cm en bordure de plateau où la déclivité est plus forte, comme en L1 et L7.

La plupart du temps, cette excavation suivait les failles du rocher provoquant des dépressions anguleuses de forme irrégulière ; dans certains cas cependant, une taille à contre-fil permettait d'obtenir un dessin plus régulier, comme dans la cabane L3. On ignore quels instruments étaient utilisés pour cette extraction. Toujours est-il que cette taille nécessita un investissement notable et qu'elle devait répondre dans l'esprit des constructeurs à une impérieuse nécessité.

Durant les phases postérieures, l'entaille du rocher est beaucoup plus rare, soit parce qu'on réutilise les sautes antérieurement créées, soit parce que l'étalement des ruines des premières cabanes permettait d'obtenir plus facilement des sols plans. 
 

Plan d'ensemble de la cabane L7 avec indication des principaux aménagements et coupe stratigraphique de L7 montrant le colmatage progressif du fond de cabane dans le rocher.
Plan d'ensemble de la cabane L7 avec indication des principaux aménagements et coupe stratigraphique de L7 montrant le colmatage progressif du fond de cabane dans le rocher.

Plan d'ensemble de la cabane L7 avec indication des principaux aménagements et coupe stratigraphique de L7 montrant le colmatage progressif du fond de cabane dans le rocher.

Cependant, d'autres modes de calage des parois sont attestés sous la forme de murets à un parement.  D'autres murets de même facture sont attestés dans la cabane L7 durant la phase I ancien, dans la cabane L11 durant la phase I récent, et entre la cabane L3 et la zone extérieure L4 durant la phase II. Cependant ces bases construites devaient être plus fréquentes que ce qui s'en est conservé: on observe en effet couramment, dans les niveaux de destruction séparant deux sols d'habitation, la présence de pierres de grosse taille témoignant sans doute de la destruction de tels murets lors des réfections globales des habitations.

Sur des structures portantes probablement assez faibles, on imagine des couvertures légères utilisant principalement des végétaux, peut-être sous forme de chaume maintenu par un treillis de branchages. À part quelques poteaux ayant pu servir de chambranle, les portes n'ont pas laissé de traces évidentes ; elles pouvaient être fermées par des tissus ou des peaux. Leur position est donc toujours hypothétique. On les suppose implantées dans des secteurs qui ne sont limités ni par des marches rocheuses, ni par des murets de calage, ce qui amène à les situer presque toujours dans la partie nord des habitations, paradoxalement face au vent dominant.
 

Fond de la cabane L10A recoupé en biais par un muret de calage de la cabane L10B.

Fond de la cabane L10A recoupé en biais par un muret de calage de la cabane L10B.

Plan des principales cabanes fouillées sur l'oppidum de La Liquière.

Plan des principales cabanes fouillées sur l'oppidum de La Liquière.

Des plans et des surfaces approximatifs

Les difficultés pour déterminer les formes et les surfaces exactes des cabanes sont du même ordre à La Liquière que sur les sites de hauteur du Bronze final évoqués plus haut, du fait de conditions semblables d'implantation et de sédimentation stratigraphique. 

On peut déceler deux tendances principales dans les plans relevés. Plusieurs cabanes offrent un plan proche de l'ovale : c'est le cas de la cabane L2, dont reste une abside limitée par un muret de pierre, mais aussi des cabanes L10B, L11A et L11B dont les sols s'étendent sur une surface oblongue limitée soit par des marches rocheuses, soit par des empierrements. D'autres habitations, comme L3A et L10A, présentent des limites proches du rectangle ; c'est également le cas de la cabane L3B comprise entre un pan de rocher taillé et un muret rectiligne la séparant d'un espace extérieur primitif, peut-être couvert par auvent (L4 40). La cabane L7A présente pour sa part un plan régulier, ni vraiment ovale, ni vraiment quadrangulaire du fait des contraintes des importantes sautes de rocher présentes sur deux de ses faces.
 

Plan de la cabane L10B. Le sol limité au sud-ouest par un muret à un parement (6) est muni d'un grand foyer construit à chape d'argile lissée (1) entouré de quatre poteaux (2 à 5).

Plan de la cabane L10B. Le sol limité au sud-ouest par un muret à un parement (6) est muni d'un grand foyer construit à chape d'argile lissée (1) entouré de quatre poteaux (2 à 5).

L'univers domestique

À l'intérieur des maisons, l'aménagement des sols est très rudimentaire.

Durant la phase primitive, dans les parties creusées, on habitait parfois à même le rocher, comme le montre la présence de foyers reposant directement sur lui. Mais il n'est pas rare qu'un remblai de terre et de pierraille égalise les irrégularités du substrat. Les sols de terre battue deviennent courants dans les phases ultérieures à mesure que les creux originels se comblent de sédiments.

Les seules structures régulièrement attestées sur ces sols sont les foyers. Ils présentent les deux variantes précédemment connues : foyers lenticulaires de cendres et de charbons de bois, plus ou moins éphémères ; et foyers construits avec une chape d'argile lissée durcie par le feu. Les foyers lenticulaires, que l'on retrouve dans des positions variées  sont dans certains cas établis dans l'angle de deux sautes rocheuses, comme en L7 A ou en L3B. Dans ces exemples, ils sont accompagnés et en partie recouverts par de volumineux amas de cendre pure qui montrent une utilisation intense et de longue durée, à tel point que l'on a pu penser à un fonctionnement hivernal prenant en compte le chauffage de l'habitation quoi qu'une fonction spécifique, comme le fumage des viandes, puisse être aussi envisagée. 
 

Vue des trous de poteau entourant le foyer construit de la cabane L10B.

Vue des trous de poteau entourant le foyer construit de la cabane L10B.

Les foyers construits peuvent être établis à même le substrat calcaire aplani, sans autre préparation, comme dans l'aire L4 annexée à la cabane L3C. Lorsqu'ils sont situés sur un sol terreux, ils sont au contraire fondés sur un radier de tessons de vases disposés à plat, comme le foyer central de la cabane L7B. Dans la cabane L10B, attribuée à la phase II, quatre poteaux dont on a retrouvé les calages entouraient un foyer construit en argile et devaient maintenir des poutrelles permettant de ménager dans le toit un orifice faisant office de cheminée.

Bien sûr, la destination primaire de ces différents types de foyers était la cuisson de la nourriture. Néanmoins on ne peut exclure que les plus élaborés d'entre eux, qui apparaissent aussi comme les plus durables, aient eu d'autres fonctions, tels que le chauffage, l'éclairage, voire même qu'ils aient été associés à quelques pratiques rituelles. 

D'autres instruments de cuisson sont également connus : si les fours en cloche du type tabouna ne sont pas clairement attestés, on possède plusieurs éléments de fours à sole percée destinés à cuire des pains, à griller des viandes ou à torréfier des céréales. Des parois de torchis, appartenant à des supports ou à des couvertures leur étaient associées; elles devaient compléter ces soles au sein d'instruments relativement complexes. De nombreuses couronnes ou tores en torchis, portant des traces de rubéfaction, étaient pour leur part utilisés pour maintenir des vases sur les braises au cours de cuissons lentes. 

Mises à part ces structures de cuisson, les cabanes ne livrent aucune trace d'aménagements domestiques particuliers, ce qui indique que la plupart devaient être faits de matériaux périssables : il faut certainement imaginer sur les sols des peaux et des litières végétales, aux murs des tissus qui devaient « meubler » ces intérieurs et leur donner l'aspect vivant qui leur manque aujourd'hui. Et puis bien sûr un entassement de vases dont les restes abondent dans les ruines.
 

Exemples de trous de poteau avec calage de pierres plates. Essai de restitution en coupe de l'élévation de la cabane L10BExemples de trous de poteau avec calage de pierres plates. Essai de restitution en coupe de l'élévation de la cabane L10BExemples de trous de poteau avec calage de pierres plates. Essai de restitution en coupe de l'élévation de la cabane L10B

Exemples de trous de poteau avec calage de pierres plates. Essai de restitution en coupe de l'élévation de la cabane L10B

Fragment d'une sole de four en torchis percée de nombreux trous et tores massifs en torchis .Fragment d'une sole de four en torchis percée de nombreux trous et tores massifs en torchis .

Fragment d'une sole de four en torchis percée de nombreux trous et tores massifs en torchis .

Une céramique non tournée locale caractéristique du faciès «suspendien»

La céramique non tournée représente à la Liquière 89 % des tessons (et 99 % de la vaisselle) aux phases I ancien et récent, et encore 86 % des tessons (et 95 % de la vaisselle) à la phase II, c'est-à-dire l'essentiel des vases en usage. De fabrication locale, elle fournit une contribution majeure à la définition de la culture matérielle de cette communauté et du faciès culturel auquel elle se rattache.

Les formes de vases se placent en majorité dans la filiation de celles du Bronze final IlIb régional dont elles représentent une évolution. La permanence des principales catégories est liée à celle des usages auxquels elles étaient dédiées. Parmi elles, on relève deux séries différentes : d'une part des urnes ordinaires à panse lissée et col rectiligne, décorées d'impressions sur l'épaule; d'autre part des urnes à col haut et évasé, panse très galbée et fond annulaire, qui bénéficient d'un traitement plus soigné. Ces dernières, peut-être réservées au service, constituent une évolution des urnes à méplats du Bronze final et représentent l'un des types les plus spécifiques du faciès régional des Vue-VIe s., à tel point qu'on les désigne parfois sous le terme d'urnes suspendiennes.
 

Reconstitution graphique d'une urne non tournée « suspendienne » de La Liquière (à gauche) et comparaison avec un vase similaire provenant de la Grotte  de Collias (Gard) (à droite).

Reconstitution graphique d'une urne non tournée « suspendienne » de La Liquière (à gauche) et comparaison avec un vase similaire provenant de la Grotte de Collias (Gard) (à droite).

Les coupes ont un répertoire varié: les plus fréquentes présentent une vasque arrondie, un bord évasé ou convergent et un fond plat ou annulaire; ces formes simples, aux multiples usages - conditionnement, service, prise de nourriture au plat pour les plus grandes ou individuelle pour les plus petites, sont attestées depuis le Bronze final et continueront de l'être jusqu'à la fin de l'âge du Fer. Certaines d'entre elles, à fond annulaire et bord rentrant, sont munies d'un ressaut interne et peuvent être décorées de cannelures à l'intérieur et d'incisions à l'extérieur: elles sont typiques de l'époque et ne se retrouvent à nulle autre période.

Pour la boisson, on disposait de multiples coupelles hémisphériques dont le fond bombé est muni d'un petit ombilic. Ces vases, dont la paroi peut être très fine, sont en général de facture soignée : au polissage de l'épiderme peut se superposer un décor intérieur fait de cannelures douces, dessinant des chevrons ou une étoile. Il s'agit encore une fois de l'évolution d'un type connu au Bronze final IIIb sous une variante le plus souvent carénée.  
 

Exemples d'urnes non tournées de La Liquière à col parallèle ou divergent, ou sans col

Exemples d'urnes non tournées de La Liquière à col parallèle ou divergent, ou sans col

En regard de ce répertoire traditionnel, peu de nouveautés. Parmi les plus notables, on citera les urnes sans col qui, tout juste apparues dans les derniers temps du Bronze final, occupent ici une place notable avant de quasiment disparaître. Certains exemplaires trapus possèdent sur la panse trois oreilles perforées qui permettaient de les suspendre.  

Parmi les changements les plus nets, il faut placer la décoration des vases.  Mais ce qui caractérise le plus les VIle-VIe s. av. n. è., ce sont les décors excisés qui ne sont attestés que durant cette période. Cette sorte d'ornementation est obtenue par des enlèvements de pâte fraîche pour faire ressortir des motifs en relief : par exemple des chevrons, des quadrillages, des losanges, des triangles emboîté sous autres figures géométriques. Elle affecte différentes formes de vases : principalement des urnes suspendiennes, des coupelles et une série d'urnes basses à col déversé assez spécifiques de la céramique excisée. Si cette technique de décoration est largement répandue au I" âge du Fer en Languedoc et ailleurs (Espagne, Alsace, Allemagne),le style des exemplaires retrouvés aussi bien dans les habitats que dans les sépultures tumulaires du Languedoc oriental est propre à cette région.
 

Coupes et coupelles en céramique non tournés.

Coupes et coupelles en céramique non tournés.

Premiers apports méditerranéens

L'un des intérêts majeurs des fouilles de la Liquière est de permettre d'aborder, à travers les céramiques d'importation livrées par les habitations, le problème complexe de la mise en place des premières relations commerciales entre les populations indigènes du Languedoc et les civilisations classiques de la Méditerranée. Certes, les objets en question ne sont pas les plus anciens témoins d'échanges connus dans cette région: des objets d'origine lointaine y sont parvenus dès l'âge du Bronze, des fibules grecques ou italiques s'y rencontrent aux IXe-VIle s. av. n. è. Des coupes étrusques ou siciliotes imitant des types proto-corinthiens datables du troisième quart du VIle s. sont attestées sporadiquement dans l'Aude à Mailhac et dans l'Hérault autour d'Agde: mais ces vases isolés sont considérés comme des sortes de cadeaux diplomatiques offerts dans le cadre de relations aristocratiques, plutôt que comme les signes de véritables trafics commerciaux.

Les pratiques d'échanges qui s'amorcent dans les dernières années du VIle s. sont d'un autre ordre. Ces transactions sont en effet nouvelles à plusieurs égards: par leur objet, puisqu'il s'agit majoritairement de vin, comme l'indiquent la présence désormais régulière d'amphores et la typologie de la vaisselle fine d'accompagnement (coupes pour boire, cruches pour verser); par leur volume, les quantités importées devenant en peu de temps nettement supérieures à celles de la période précédente; par leur continuité, car il ne s'agit plus d'apports épisodiques mais de courants d'échanges réguliers qui supposent la mise en place de réseaux de diffusion et d'une véritable politique cormmerciale ; par leurs destinataires enfin, qui ne se limitent plus à quelques potentats locaux, mais englobent la quasi-totalité de la population, même si les modes de redistribution à l'intérieur des communautés indigènes ont pu conforter les pouvoirs en place.
 

Urne basse en céramique non tournée  -  Exemples de décors incisés ou excisés  -  Fragments de canthares en buchero nero étrusque.Urne basse en céramique non tournée  -  Exemples de décors incisés ou excisés  -  Fragments de canthares en buchero nero étrusque.Urne basse en céramique non tournée  -  Exemples de décors incisés ou excisés  -  Fragments de canthares en buchero nero étrusque.

Urne basse en céramique non tournée - Exemples de décors incisés ou excisés - Fragments de canthares en buchero nero étrusque.

D'abord les Étrusques

La stratigraphie de La Liquière permet de suivre les premières étapes de ce processus. Dans les niveaux de la phase I ancien, entre 610 et 590 environ av. n. è., toutes les importations proviennent d'Étrurie méridionale. Il s'agit surtout d'amphores vinaires, qui se répartissent en deux types principaux: d'une part, pour 45 %, des amphores à pâte sableuse de couleur gris-jaune ou rosée, à paroi très fine et fond plat (type 1/2), probablement originaires de Vulci : d'autre part, pour le reste, des amphores à paroi plus épaisse, pâte brune ou rouge à cœur gris, munies d'un bord en petit bourrelet sur col dégagé et d'un fond bombé, soit pansues (type 3A), soit plus rarement effilées (type 3B), que l'on pense fabriquées principalement à Caere, l'actuelle Cerveteri. Les amphores étrusques constituent plus de 10 % des tessons recueillis dans les couches de la Liquière I ancien, soit 6,4 % des vases attribués à cette période. Avec ces amphores vinaires arrivent d'Étrurie quelques vases en argile intégralement noire du fait d'une cuisson fumigée, que l'on dénomme sous le terme de bucchero nero(1): il s'agit uniquement de canthares à pied en trompette et hautes anses verticales, d'un galbe très esthétique, appartenant au bucchero de transition apparu dans les dernières décennies du VIle s. Les caractères de la pâte, de la cuisson et du polissage de ces vases à boire suggèrent une production cérétaine. Durant cette première phase, ces canthares sont en majorité ornés de rangées d'impressions sur le ressaut de la vasque et de deux lignes incisées sous le bord. Les quantités concernées sont encore très modestes: 5 pièces en tout, représentant moins de 1 % des vases de l'époque.

(1) - Vase noir à anse en terre cuite

Amphore vinaire étrusque et éléments d'amphores étrusquesAmphore vinaire étrusque et éléments d'amphores étrusques

Amphore vinaire étrusque et éléments d'amphores étrusques

Puis des importations grecques

Les importations étrusques continuent de dominer très largement durant la phase I récent, vers 590- 570 av. n. è., avec les mêmes types de canthares en bucchero nero présents dans les mêmes proportions, et les mêmes types d'amphores représentant un volume équivalent (9,9 % des tessons de la phase). Parmi elles, on note une proportion moindre des productions vulciennes de type 1/2 (27 % des amphores) au profit du type cérétain 3A qui domine désormais largement (68 %). S'y ajoutent les fragments de deux aryballes étrusco-corinthiens (productions étrusques imitant des céramiques peintes fabriquées à Corinthe) attribués au «Cycle des coqs affrontés»: l'un d'entre eux, représentant un fond orné de palmettes surmontées d'une frise animalière, est dans la manière du «Groupe de Toronto», officine de Caere ayant fonctionné dans les années 580-560; l'autre, où figure un cygne ou une oie traitée de manière bicolore, a été rapproché du «Groupe de l'Ermitage».

Ce qui est nouveau, cependant, c'est l'apparition des premières céramiques grecques, notamment de Grèce de l'Est: citons un fragment de coupe ionienne A1 à filets rouges et blancs à l'intérieur du bord, des anses de coupes ioniennes A2 ou Bi, un fragment de plat à décor interne de style rhodien et une anse horizontale bifide appartenant à une hydrie. Des tessons de coupes à pâte grise bucchéroïde pourraient avoir aussi une origine grecque orientale. On relève également plusieurs éléments de vases corinthiens, parmi lesquels l'anse verticale d'une œnochoé du Corinthien ancien ou moyen comparable à une pièce découverte dans une fosse du gisement lagunaire de Forton à Lansargues (Hérault). Le tout représente au total 2,4 % des vases de cette phase. À leur côté, on rencontre de rares éléments d'amphores magno-grecques à pâte jaune sableuse, probablement originaires de Sybaris.
 

Vases corinthiens et étrusco-corinthiens de La Liquière I récent - céramique grecque orientale : fragment de plat de style rhodien (1), bord de coupe ionienne (2), anse de coupe ionienne (3), anse horizontale bifide (4).  bVases corinthiens et étrusco-corinthiens de La Liquière I récent - céramique grecque orientale : fragment de plat de style rhodien (1), bord de coupe ionienne (2), anse de coupe ionienne (3), anse horizontale bifide (4).  b

Vases corinthiens et étrusco-corinthiens de La Liquière I récent - céramique grecque orientale : fragment de plat de style rhodien (1), bord de coupe ionienne (2), anse de coupe ionienne (3), anse horizontale bifide (4). b

L'impact de Marseille

C'est durant la phase II, après 570, que l'on voit à La Liquière un premier impact de Marseille sur le commerce régional. Celui-ci est encore modeste et loin de détrôner les importations étrusques qui restent fortement implantées : 76 % des amphores parvenant sur le site restent d'origine tyrhénienne, avec une majorité de types 3A (82 % des amphores étrusques) et un nombre important de canthares en bucchero nero (une quarantaine de vases), parmi lesquels une majorité d'exemplaires inornés et quelques spécimens en bucchero brun, mais aussi une œnochoé et une kylix à lèvre.

Les productions massaliètes concernent uniquement la vaisselle de table : surtout des céramiques grises monochromes qui d'emblée constituent les trois quarts des fragments de vaisselle tournée d'importation. Le répertoire est très varié: coupes et bols hémisphériques, coupes carénées, coupes à marli, coupes à lèvre, urnes carénées, cratères, œnochoés. Plus de la moitié provient d'ateliers marseillais, le reste se rattachant à des productions de Provence occidentale.

Au commerce massaliète sans doute, il faut enfin attribuer le développement sensible des importations d'amphores grecques : cinq bords d'amphores de Clazomènes à pâte brun-rouge et les fragments d'une cinquantaine d'amphores de Grande-Grèce, probablement fabriquées à Sybaris, ont été recueillis dans les cabanes et dans un dépotoir de cette phase. Ces catégories sont en effet bien attestées dans les niveaux archaïques de Marseille qui en importait abondamment.
 

Amphore de table : bord d'amphore à tableaiu(1), amphore à col orné de palmettes et de fleurs (2), bord d'amphorette à vernis noir (3) et grande coupe à lèvre en céramique grise monochrome massaliète.Amphore de table : bord d'amphore à tableaiu(1), amphore à col orné de palmettes et de fleurs (2), bord d'amphorette à vernis noir (3) et grande coupe à lèvre en céramique grise monochrome massaliète.

Amphore de table : bord d'amphore à tableaiu(1), amphore à col orné de palmettes et de fleurs (2), bord d'amphorette à vernis noir (3) et grande coupe à lèvre en céramique grise monochrome massaliète.

Une économie principalement vivrière

Malgré la variété de ces importations, indices d'échanges actifs et désormais continus, il ne fait aucun doute que les bases de l'économie des habitants de la Liquière étaient essentiellement vivrières. Agriculture, cueillette, élevage et chasse devaient occuper la majeure partie du temps. Les traces laissées par ces activités dans les habitations sont fugaces mais fournissent quelques indications sur les manières et les produits.

Il faut souligner d'abord la rareté des outils agricoles : beaucoup devaient être périssables, comme les instruments en bois ou les vanneries, et l'outillage métallique a probablement été en grande partie récupéré, compte tenu du caractère relativement précieux du métal. Cependant, entre le Bronze final et l'époque en cause, une évolution technique majeure concernant notamment cet outillage est intervenu: c'est l'apparition du fer, qui fournit des instruments plus efficaces et plus durables.  Le labour à l'aide d'araires peut-être tout en bois, attesté depuis plusieurs siècles dans la région, put bénéficier de la traction par les chevaux qui apparaissent dans la faune consommée sous forme d'animaux âgés, bien que cet animal ait eu d'autres fonctions pour le transport et surtout la cavalerie.

L'agriculture était principalement céréalière: c'est ce que montrent les grains carbonisés retrouvés autour des foyers, notamment dans les cabanes L1A, L7A, L7B, L10A et L11B. Cette carbonisation est fréquemment observée dans les gisements protohistoriques; elle peut être due à l'incendie de greniers ou de réserves, ou bien, comme ici, à une torréfaction des céréales en vue de leur stockage ou de leur consommation. Les blés sont composés principalement de petits grains arrondis appartenant sans doute à du blé tendre. La prédominance de l'orge a été observée dans de nombreux gisements du 1er âge du Fer du Midi de la France. Son usage devait être multiple sous forme de galettes ou de farine d'orge grillée, ou sous forme de boisson fermentée, c'est-à-dire de bière.
 

Fragments de faucille et d'herminette en fer de la Liquière  -  Répartition des types de céréales prélevées autour des foyers domestiques  -  Glands de chêne carbonisés recueillis dans l'un des foyers lenticulaires de la cabanes L1A.Fragments de faucille et d'herminette en fer de la Liquière  -  Répartition des types de céréales prélevées autour des foyers domestiques  -  Glands de chêne carbonisés recueillis dans l'un des foyers lenticulaires de la cabanes L1A.Fragments de faucille et d'herminette en fer de la Liquière  -  Répartition des types de céréales prélevées autour des foyers domestiques  -  Glands de chêne carbonisés recueillis dans l'un des foyers lenticulaires de la cabanes L1A.

Fragments de faucille et d'herminette en fer de la Liquière - Répartition des types de céréales prélevées autour des foyers domestiques - Glands de chêne carbonisés recueillis dans l'un des foyers lenticulaires de la cabanes L1A.

Les meules destinées à produire la farine sont attestées par des fragments dans plusieurs cabanes : il s'agit encore uniquement à cette époque du type à va-et-vient composé d'une dalle dormante assez épaisse et d'un broyeur mobile de forme oblongue ou arrondie. Toutes sont faites de roches exogènes : en basalte pour 7 meules et 1 molette, en grès pour 4 meules et 4 molettes et en granite pour 2 fragments de meule.

Aucune légumineuse n'a été trouvée dans les prélèvements de la Liquière, ce qui n'exclut pas leur consommation car leur préparation ne nécessitait pas de grillage. Par contre, plusieurs échantillons contenaient des glands carbonisés, en grande quantité dans les cabanes L1A et L7A et de manière ponctuelle ailleurs, illustrant une cueillette et une consommation apparemment habituelles à cette époque, alors que cet usage n'est pas attesté auparavant et ne le sera guère ensuite. 

Les nombreux restes de faune recueillis dans les habitations de la Liquière et dans le dépotoir L9 témoignent d'un élevage et d'une chasse actifs et rentables. Sur plus de 10000 os et dents recueillis, 2427 ils appartiennent à 12 espèces, pour moitié domestiques, pour moitié sauvages.

Une constatation tout d'abord : la répartition en pourcentage des individus déterminés pour chaque phase présente une réelle stabilité en ce qui concerne les principaux animaux consommés. Ainsi, à toute époque, ce sont les ovins, moutons et chèvres, qui dominent largement le cheptel en nombre minimum d'individus. Selon les phases, 53 à 61 % sont abattus adultes, mais 28 à 32 % sont prélevés jeunes et 7 à 18 % très jeunes, ce qui dénote tout autant un surplus de productivité qu'un goût certain pour les agneaux. Cette primauté des ovi-caprinés, caractéristique des régions méditerranéennes, ne se vérifie cependant pas si l'on convertit ces données en poids de viande, qui ne représente que 21 à 23 % de la consommation carnée.

La première place, sur ce critère, revient au bœuf et au cheval, qui ensemble fournissent 39 à 41 % de la viande disponible. On constate à la Liquière, comme sur d'autres sites, que ces deux espèces se compensent, le recours à la viande de cheval venant compléter la production bovine lorsque celle-ci est déficitaire, à tel point qu'on a pu parler d'une consommation chevaline de crise. Ce phénomène est visible sur les graphiques où l'on constate que le cheval est absent dans la faune de la phase l ancien lorsque le bœuf est à 10 % des animaux abattus, et qu'il constitue durant les phases suivantes 2 % des animaux attestés lorsque le bœuf tombe à 6%.

Répartition des espèces d'animaux consommés sur l'oppidum de La Liquière durant différentes phases d'occupation.Répartition des espèces d'animaux consommés sur l'oppidum de La Liquière durant différentes phases d'occupation.Répartition des espèces d'animaux consommés sur l'oppidum de La Liquière durant différentes phases d'occupation.

Répartition des espèces d'animaux consommés sur l'oppidum de La Liquière durant différentes phases d'occupation.

Les proportions de suinés sont cependant stables, au même niveau qu'au Bronze final, que ce soit en nombre (14-15 % des têtes) ou en rendement (13-17 % de la viande). Si l'on se fie à la morphologie et à la stature des animaux en cause, il faut compter parmi eux environ trois quarts de porcs et un quart de sangliers relevant de la chasse.

Outre la viande, l'élevage fournissait également du lait. C'est au 1er âge du Fer que l'on trouve le plus grand nombre de faisselles en céramique non tournée destinées à la fabrication du fromage ; on en connaît à La Liquière deux types correspondant probablement à des préparations différentes : coupe évasée à fond muni de multiples petits trous, ou vases plus profonds ouverts en haut et en bas dont la paroi est perforée de trous plus gros, qui devaient s'utiliser avec un linge. Toutes les cabanes de la Liquière en ont livré peu ou prou, ce qui montre que le produit entrait couramment dans la diète alimentaire.  

L'un des caractères spécifiques de l'approvisionnement en viande à La Liquière réside dans l'importance et la constance de l'activité cynégétique : 25 à 27 % des animaux attestés proviennent de la chasse, fournissant 24 à 26 % de la nourriture carnée, ce qui est considérable.  Elle n'exclut pas la capture de lapins et de quelques galliformes, régulièrement attestés mais à des taux moindres et d'un rendement mineur. Les loups et les renards, également présents dans les assemblages de faune de l’époque, étaient probablement abattus pour leur peau et sans doute aussi pour protéger les troupeaux et le gibier. Deux pointes de flèches proviennent de niveaux de La Liquière II : il s'agit d'une part d'une pointe triangulaire en bronze percée de trois petits trous et ornée d'incisions sur une face. L’attribution de ces objets à la chasse plutôt qu'à la guerre est quasiment certaine, car les panoplies de guerrier de l'époque, telles qu'en témoignent les tombes et les statues régionales, n'incluent quasiment jamais ce type d'arme.
 

Exemples de faisselles en céramique destinées à la fabrication du fromage  -  Pointes de flèches de La Liquière utilisées pour la chasse.Exemples de faisselles en céramique destinées à la fabrication du fromage  -  Pointes de flèches de La Liquière utilisées pour la chasse.

Exemples de faisselles en céramique destinées à la fabrication du fromage - Pointes de flèches de La Liquière utilisées pour la chasse.

Des fabrications diverses dans le cadre domestique

Lieu de repos, de préparation et de consommation de la nourriture, l'habitation et son entourage étaient aussi, si l'on en croit les indices disponibles, un lieu de fabrications diverses, dont plusieurs découlaient de l'orientation pastorale privilégiée de l'économie vivrière. Lélevage fournissait en effet plusieurs produits susceptibles de transformation, tels que les os, les peaux ou la laine.

Le travail de l'os était apparemment peu développé : ne s'y rapporte qu'un très petit nombre d'objets et de rebuts. Plusieurs appliques en bronze, soit à rivet, soit à trous, destinées à être fixées sur cuir, illustrent indirectement la mégisserie.

C'est cependant l'industrie textile qui a laissé le plus de traces, en rapport avec un élevage ovin très développé fournissant à n'en pas douter une laine abondante. Deux sortes d'instruments en terre cuite témoignent du filage: d'une part des fusaïoles de forme biconique, ustensile quasiment immuable depuis la fin du Néolithique, dont la plupart des habitations ont livré un ou plusieurs exemplaires (la pointe d'un fuseau en os trouvée dans la cabane L7B peut leur être associée); d'autre part un fragment d'anneau muni de plusieurs orifices tubulaires, qui a été interprété comme un tourniquet de dévidoir à huit rayons pour le filage de la laine. À la couture enfin se rapportent une aiguille en bronze à chas aplati et un probable étui à aiguilles en fer.

Pour ce qui concerne la poterie non tournée locale, le problème du mode de production se pose dans les mêmes termes qu'au Bronze final. L'abondance des découvertes (plus de 35 000 tessons dans quelques cabanes, représentant plus de 2000 vases) indique une activité prolixe. La rareté des pièces réparées ou réutilisées montre par ailleurs que l'on n'hésitait pas à jeter un vase fêlé, quitte à en fabriquer un autre. Une telle masse de produits, alors qu'aucun atelier n'est formellement attesté ni à la Liquière, ni dans aucun autre habitat du 1er âge du Fer méridional, donne beaucoup de crédibilité à l'hypothèse d'une fabrication majoritairement domestique, pratiquée de manière traditionnelle (par les femmes?) selon des techniques héritées de génération en génération. Aucune structure de cuisson adaptée à la poterie n'est attestée en contexte domestique : les rares fours connus à cette époque pour ce type de céramique se situent en dehors des habitats et pouvaient constituer des instruments banaux cuisant la production de plusieurs familles, selon une pratique bien attestée par l'ethnologie.  
 

Appliques en bronze probablement fixées sur cuir.

Appliques en bronze probablement fixées sur cuir.

Objets en relation avec la fabrication du textile : fusaïole en terre cuite, pointe de fuseau en os, aiguille en bronze, étui en fer et probable tourniquet de dévidoir en terre cuite.

Objets en relation avec la fabrication du textile : fusaïole en terre cuite, pointe de fuseau en os, aiguille en bronze, étui en fer et probable tourniquet de dévidoir en terre cuite.

Une métallurgie en expansion

Si l'on en juge par le nombre calibré d'objets répertoriés, le mobilier en bronze est, durant la phase 1 ancien de la Liquière, à peine plus fréquent qu'au Bronze final, tandis que s'y ajoutent quelques objets en fer. En revanche, si la part du fer reste à peu près constante, on constate que la fréquence des objets en bronze augmente nettement au cours du VIe s. sous l'effet non seulement d'une production plus diversifiée, mais également de probables importations.

Les modes de production des mobiliers métalliques posent des questions similaires à celles concernant la poterie. L’existence d'une production spécialisée doit être évidemment envisagée : on peut imaginer sans peine qu'un village de la taille de la Liquière ait comporté un bronzier ou un forgeron. Mais les traces diffuses relevées à l'intérieur et autour des habitations et la modestie des techniques mises en œuvre pour la plupart des produits laissent place à l'hypothèse d'une participation plus large à cette activité, sous la forme de ce que l'on pourrait appeler une petite métallurgie para-domestique.  Ces traces sont de diverse nature : on trouve dans les niveaux d'habitat beaucoup d'objets non finis, parfois cassés, tels ces anneaux bruts de fonte et non ébarbés, mais aussi des objets apparemment préparés pour la refonte, tels ces fragments de bracelets ou de tôle repliés; quelques scories également, de bronze et de fer.  

Un seul point a livré une concentration particulière : le secteur L8, zone extérieure située entre les cabanes L3 et L7, où a été recueilli dans un même niveau de la phase II près d'un tiers des rebuts et ratés de ce type livrés par le site, et notamment une hache miniature défectueuse. Ces déchets de bronze récupérés se répartissaient autour d'un foyer à sole d'argile ancrée sur un radier de tessons, entouré d'un muret en fer à cheval avec ouverture au sud, correspondant sans doute la base d'un four de chauffe.  
 

Objets en bronze bruts de fonte(1) ou en récupération pour la refonte(2), ciselet(3) et pierre à aiguiser(4), scories de bronze(5) ou de fer(6) de la Liquière  -  Base de four de chauffe à vocation métallurgique.Objets en bronze bruts de fonte(1) ou en récupération pour la refonte(2), ciselet(3) et pierre à aiguiser(4), scories de bronze(5) ou de fer(6) de la Liquière  -  Base de four de chauffe à vocation métallurgique.

Objets en bronze bruts de fonte(1) ou en récupération pour la refonte(2), ciselet(3) et pierre à aiguiser(4), scories de bronze(5) ou de fer(6) de la Liquière - Base de four de chauffe à vocation métallurgique.

Parure, habillement, toilette

Les objets en métal, qu'ils soient de bronze ou de fer, sont à cette époque voués en majorité à la parure, à l'habillement et à la toilette. On devine à travers cette destination la valeur précieuse du fer, métal nouveau et encore assez rare. Les fibules, sortes d'agrafes décoratives, sont présentes en petit nombre et leur typologie évolue rapidement : une fibule serpentiforme en bronze de la cabane L7 A appartient à la phase 1 ancien: c'est un type caractéristique du VIle s. en Languedoc, que l'on rencontre couramment dans les nécropoles de faciès « Grand Bassin 1 ». Les cabanes de la phase II livrent pour leur part plusieurs exemplaires de fibules en bronze et en fer à pied en bouton conique et ressort long ou court, appartenant au type « Golfe du Lion », commun à la Provence, au Languedoc et à la Catalogne.

Les bracelets sont fort courants. La plupart sont en bronze et présentent des ornementations incisées. On distingue plusieurs formes : joncs épais à section ovale ou aplatie, bracelets armilles filiformes qui devaient être portés en groupe et parfois reliés par de petites attaches en forme d'agrafes également décorées. Les diamètres réduits suggèrent souvent un usage par des femmes ou même par des enfants. À côté des exemplaires en bronze existent également des bracelets en lignite soit étroits, soit très élevés en forme de tonnelet : ceux-ci, de typologie typiquement hallstattienne, sont assurément importés car le matériau n'existe pas sur place. Leur diamètre supérieur pourrait identifier des parures préférentiellement masculines.
 

Fibules en bronze de la LiquièreFibules en bronze de la Liquière

Fibules en bronze de la Liquière

Éléments de ceinture  -  Instrument de toilette - Scalptorium en bronze et perles en terre cuite.Éléments de ceinture  -  Instrument de toilette - Scalptorium en bronze et perles en terre cuite.Éléments de ceinture  -  Instrument de toilette - Scalptorium en bronze et perles en terre cuite.

Éléments de ceinture - Instrument de toilette - Scalptorium en bronze et perles en terre cuite.

Coutumes et rituels

Parmi les découvertes de la Liquière, plusieurs paraissent avoir eu une vocation rituelle. Ces documents non réductibles aux usages de la vie quotidienne sont toujours rares dans les fouilles d'habitat et d'interprétation discutable. Il convient de leur accorder une attention particulière car ils illustrent certainement un aspect essentiel des mentalités personnelles et collectives.

On placera d'abord dans cette catégorie une importante série de disques en bronze plus ou moins creux ont le rebord bombé est orné de multiples perles en relief obtenues au repoussé. la Liquière en a fourni au coral 43 présentant tous les diamètres intermédiaires entre le plus petit (2,3 cm) et le plus grand (14 cm).
 

Disques en bronze à rebord perlé de la Liquière. Ces objets en partie importés d'Étrurie entraient apparemment dans des pratiques rituelles

Disques en bronze à rebord perlé de la Liquière. Ces objets en partie importés d'Étrurie entraient apparemment dans des pratiques rituelles

Tous les exemplaires trouvés en stratigraphie proviennent de niveaux de la phase II (vers 570-540 av. n. è.) et la plupart des cabanes de cette époque en ont fourni. Compte tenu de leur chronologie et de leur association avec de multiples amphores et canthares étrusques, on peut considérer qu'une partie au moins correspond à des importations depuis l'Étrurie méridionale ou le Latium où le type est connu à défaut d'être courant. Mais la fabrication de tels disques découpés dans une fine tôle de bronze ne présentait guère de difficultés et rien n'interdit qu'une partie d'entre eux ait été produite localement.

En soi, bien qu'évoquant des références solaires par leur forme arrondie, ces objets ne présentent pas de caractères votifs intrinsèques. Ils ont ainsi été parfois identifiés à des ornements vestimentaires.  
 

Vue de quelques disques perlés en bronze de la phase II de La Liquière.

Vue de quelques disques perlés en bronze de la phase II de La Liquière.

La dispersion des disques de la Liquière dans différentes habitations montre certes l'intégration des rites auxquels ils participent au sein de l'univers domestique, mais l'identité du traitement subi souligne l'aspect collectif des croyances qui leur étaient associées. On les a interprétés comme des offrandes dans un sanctuaire, bien que le dépôt soit dénué de tout environnement identifiable. Si la signification exacte de ces gestes et leurs rapports avec cette sorte de disques restent obscurs, la parenté des pratiques observées sur les deux sites est indéniable.

Parmi les objets à caractère rituel de la Liquière, il faut encore signaler une hache à douille miniature en bronze. Le fait qu'il s'agisse d'un raté de fabrication montre que cette sorte d'objet était fabriquée localement. Des modèles réduits de ce type, sans fonction pratique, sont attestés dans des dépôts de fondeur et des habitats méridionaux de la fin du 1er âge du Fer et leur valeur votive est reconnue. Des exemplaires d'origine peut être languedocienne se retrouvent aussi dans des dépôts votifs du Latium (Mont Carbolino, Sermoneta) et de la ville grecque de Géla en Sicile (dépôt de Bitalerni).
 

Hache à douille miniature en bronze  -  Probables fragments de cuirasses en bronze provenant de La Liquière.Hache à douille miniature en bronze  -  Probables fragments de cuirasses en bronze provenant de La Liquière.

Hache à douille miniature en bronze - Probables fragments de cuirasses en bronze provenant de La Liquière.

La guerre était également source de rituels collectifs parmi les plus importants de l'époque, comme le montrent notamment les stèles et statues archaïques de Gaule méridionale, contemporaines de la Liquière. Cette « activité » primordiale dans les sociétés protohistoriques, bien attestée dans le domaine funéraire qui voit durant cette phase une multiplication des dépôts d'armes dans les tombes masculines, laisse en général peu de traces dans les habitats et sur ce point notre site ne fait pas exception. Plusieurs sortes de découvertes cependant peuvent être mises en relation avec ce thème.

Éléments de deux crânes humains appartenant à de robustes adultes trouvés dans la zone L14 et dans la cabane L1B de la Liquière.

Éléments de deux crânes humains appartenant à de robustes adultes trouvés dans la zone L14 et dans la cabane L1B de la Liquière.

                                                                          Relecture Lysiane et Christan Letellier

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