Association pour la protection et la mise en valeur de Calvisson et de la Vaunage

APROMICAV CALVISSON

MARIE DURAND ICÔNE DU PROTESTANTISME

Les prisonnières de la tour de Constance à Aigues-Mortes

Les prisonnières de la tour de Constance à Aigues-Mortes

Marie DURAND est née le 15 juillet 1711 au Bouschet-de-Pranles, non loin de Privas, en Vivarais,  aujourd’hui situé en Ardèche. L’édit de Nantes, avait été révoqué en 1685, d’où la révolte des camisards dans les Cévennes, le mouvement prophétique apparu dans la Drôme et l’Ardèche est en déclin. C’est un moment de formidable résistance et de désorganisation. Antoine COURT et d’autres prédicateurs comme Paul RABAUT (à qui Marie Durand écrira certaines lettres) tentent de reconstruire les Églises protestantes. Ce dernier, opposé à la violence des camisards, défend une attitude de patience et de résignation en attendant des jours meilleurs, pour montrer au roi que les protestants sont respectueux de l’ordre afin que celui-ci revienne à l’édit de Nantes.

 

Les prédicateurs Antoine Court et Paul RabautLes prédicateurs Antoine Court et Paul Rabaut

Les prédicateurs Antoine Court et Paul Rabaut

Née en 1711, Marie DURAND habitait un village près de Privas en Ardèche. Elle vient donc d’un milieu rural. Mais son père est un expert local foncier qui fixe les prix des terrains agricoles. L’historien Patrick CABANEL précise qu’il existe une hiérarchie de classe entre les paysans riches et ceux qui sont pauvres, que tous n’ont pas le même statut. Marie DURAND a-t-elle été à l’école ? On peut supposer que c’est son père qui l’a instruite. Il a éduqué ses deux enfants, Pierre, qui deviendra pasteur, et Marie. Elle sait donc lire et écrire, ses lettres en attestent.

La maison de la famille Durand au Bouschet-de-Pranles

La maison de la famille Durand au Bouschet-de-Pranles

Marie DURAND a souvent été présentée comme célibataire. Pourtant un acte de notaire du 27 avril 1730 prouve qu’elle s’est mariée avec Mathieu SERRE. Le frère de Marie n’était pas favorable à cette union, vraisemblablement, car c’est un homme de quarante ans alors qu’elle n’en a que dix-neuf. Mariée au printemps, elle est arrêtée en août avec Mathieu SERRE.

De nombreux protestants qui se retrouvaient dans les assemblées religieuses clandestines étaient arrêtés lorsque les soldats les trouvaient. Il n’y a rien d’exceptionnel pour une protestante opiniâtre à participer aux assemblées. La mère de Marie DURAND, Claudine GAMONNET, a été arrêtée en 1719 et n’est jamais revenue.

 

Claudine Gamonet et sa famille, dans leur maison, écoutant le prêche

Claudine Gamonet et sa famille, dans leur maison, écoutant le prêche

La famille DURAND est surveillée car son frère Pierre est prédicateur au Désert, puis pasteur à partir de 1726. Il est actif dans les réseaux de reconstruction du protestantisme et passe ensuite à la clandestinité. Étienne, le père, est arrêté en 1729, puis Marie et Matthieu en 1730, sans doute pour faire pression sur le frère. Son père et son mari sont enfermés dans la même prison, au Fort de Brescou, près du Cap d’Agde. Le père y restera quatorze ans, le mari jusqu’en 1750. Elle ne les reverra pas.

Son frère Pierre est finalement arrêté en 1732, puis exécuté à Montpellier. Pourtant, Marie DURAND, elle, reste enfermée.

 

MARIE DURAND ICÔNE DU PROTESTANTISME

Marie DURAND n’est pas toute seule dans sa prison, elles sont entre une dizaine et une vingtaine de femmes. Au total, 91 femmes protestantes seront enfermées dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes, entre 1718 et 1761. Elles ne sont pas coupées du monde extérieur, elles reçoivent des visites, de l’aide de l’extérieur pour agrémenter leur ordinaire, comme de l’huile. Elles s’occupent comme elles peuvent : elles discutent beaucoup et partagent de vraies ou de fausses informations. La libération est le sujet de prédilection et l’objet de tous les fantasmes. Elles organisent des offices religieux, ont des activités qui permettent de passer le temps, comme la couture. Une prison n’est jamais agréable, la Tour de Constance ne l’est vraiment pas. C’est un lieu très humide et froid, ces femmes reçoivent de la prison de l’eau, de la paille et du pain. Et rien d’autre.

Si Marie DURAND n’avait pas écrit ses lettres, elle serait sans doute restée aussi méconnue que ses codétenues. Patrick CABANEL explique dans son ouvrage Itinéraires protestants en Languedoc que Marie DURAND ne détenait pas le record de l’enfermement le plus long. C’est Marie ROBERT, dite Frésole ou la Frisole, qui est restée enfermée 40 ans et quatre mois. D’autres femmes auraient pu marquer la mémoire collective : certaines sont entrées avec leur bébé et les ont élevés en prison ; la jeune Catherine FALGUIÈRE, elle, a passé les seize premières années de sa vie dans cette prison.

 

La tour de Constance à Aigues-Mortes
La tour de Constance à Aigues-MortesLa tour de Constance à Aigues-Mortes

La tour de Constance à Aigues-Mortes

48 lettres ont été écrites entre 1734 et 1776, envoyées de la Tour sauf les dix dernières. Certaines sont signées collectivement par « les prisonnières », d’autres individuellement par « La Durand ». Ces lettres écrites par Marie DURAND et non celles reçues par elle, ont été retrouvées dans les archives d’Antoine COURT, de Paul RABAUD, dans celles du Consistoire… D’autres ont disparu.

Ces lettres donnent à voir le quotidien : les difficultés matérielles et le rôle de la spiritualité. Son attachement à la Bible ressort sans cesse. L’aspect spirituel vient nourrir cette résistance, c’est l’espérance en Dieu qui permet à ces femmes de tenir. Les lettres servent à demander de l’aide et sont aussi parfois plus personnelles, quand elle s’adresse à sa nièce Anne, la fille de son frère, par exemple.

Sa famille est protestante, elle a été élevée par son père dans cette foi. Il faut imaginer que l’univers biblique est une planche de salut quand on est emprisonné.

 

Les prisonnières écoutant le prêche de Marie Durand

Les prisonnières écoutant le prêche de Marie Durand

Marie lisant la bible pour ses amies

Marie lisant la bible pour ses amies

La lecture de la Bible permet de tenir et donne des raisons de croire, de patienter, d’espérer. Ces femmes vivent une telle souffrance qu’elles doivent trouver une manière de sortir d’un quotidien extrêmement violent pour voir des signes possibles d’un avenir meilleur. Et la Bible leur en offre un.

Le mot « Register », gravé sur la margelle du puits, qui signifie en patois du Vivarais « résister », lui a été attribué. Sans preuve. Son père gravait des mots dans la demeure familiale. Est-ce qu’elle perpétue une tradition ? On ne sait pas.

 

MARIE DURAND ICÔNE DU PROTESTANTISME

Ces femmes n’ont rien, leurs biens ont été confisqués. Leurs familles leur envoient de l’argent. Elles vivent de l’entraide protestante via des Églises locales et étrangères, notamment les Églises d’Amsterdam. C’est plus difficile avec l’âge car elles sont malades et ne peuvent se soigner. Certaines se retrouvent seules, comme Marie qui a perdu son père, son frère et son mari. Sa nièce Anne DURAND n’arrange rien en demandant des comptes sur l’héritage de Marie. Heureusement, cette dernière est aidée jusqu’à sa mort par le consistoire des Églises d’Amsterdam, même après sa libération.

Pour sortir, ces femmes n’avaient pas d’autre choix que d’abjurer. Certaines sont mortes dans la tour. Plus on avance dans le siècle et plus le sort de ces prisonnières émeut différents personnages qui cherchent à obtenir des lettres de grâce. Les idées des Lumières et de tolérance se diffusent. Dans les esprits éclairés de cette époque, la peine subie par ceux qui ne croient pas comme il faudrait croire n’est plus acceptable. Est-ce bien raisonnable qu’une femme soit enfermée toute une vie car elle ne croit pas dans les dogmes de l’Église catholique ? Leur libération a lieu peu de temps après l’affaire Calas (1765). Marie DURAND est libérée le 14 avril 1768, la dernière prisonnière en décembre 1768. Marie rentre chez elle, au Bouschet-de-Pranles, et meurt en 1776.

Sources
Extraits de la conférence de Laure Salamon avec la professeure Céline Borello.
Marie Durand, Céline Borello, Éditions Ampelos, 2018

Plaque commémorative à la mémoire des protestants envoyés aux galères et plaque apposée sur la maison des Durand Plaque commémorative à la mémoire des protestants envoyés aux galères et plaque apposée sur la maison des Durand

Plaque commémorative à la mémoire des protestants envoyés aux galères et plaque apposée sur la maison des Durand

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article